Des relations internationales de la Grande-Bretagne? Nasser MICHAËLENE-GABRYEL

Nasser Michaëlene-Gabryel est directeur général de la Fondation Bourbon Montpensier-Fondation scientifique de recherche et d'enseignement supérieur. Docteur en science politique, directeur de Recherche scientifique- Professeur de science politique et de relations internationales-Institut universitaire Montpensier/ Bourbon Sovereign University ( B. Unireign) -Université Méditerranéenne des nations avec Habilitation de Direction de la Recherche (HDR) - Sociologie historique -Section 19 CNU. (en cours d'ajustement)

Une histoire comparée des relations internationales. 

La politique étrangère du gouvernement travailliste; un atlantisme par le vide?

Après l’accession de Keir Starmer au pouvoir, le Royaume-Uni se trouve à la croisée des chemins dans sa relation avec l’Union européenne. Cinq ans après le Brexit, voté lors du référendum du 23 juin 2016 et mis en œuvre sous le gouvernement de Boris Johnson entre 2019 et 2022, le pays subit les effets économiques d’une sortie qui a rendu son système politique plus instable et complexe. Le gouvernement travailliste actuel exprime le souhait d’améliorer l’accord négocié sous Johnson, mais sans en remettre en cause les fondements. Pourtant, malgré cette ambition affichée, l’absence de propositions concrètes, l’attentisme face à Bruxelles et l’incapacité à articuler une stratégie claire laissent planer le doute sur la direction politique réelle du Labour. 

Cette situation tranche avec d’autres moments de l’histoire du Parti travailliste où des décisions marquantes ont été prises en matière de souveraineté et d’intégration internationale. On peut notamment comparer l’approche de Starmer à celles de Clément Attlee entre 1945 et 1951, de Harold Wilson entre 1964 et 1970 puis entre 1974 et 1976, et de Tony Blair entre 1997 et 2007, trois Premiers ministres travaillistes qui ont joué un rôle déterminant dans la redéfinition du positionnement du Royaume-Uni sur la scène mondiale.


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Ces trois gouvernements partagent un ancrage atlantiste fort, bien que leurs motivations diffèrent. 

Chez Attlee, cet atlantisme est pragmatique et réaliste, dicté par la nécessité de reconstruire la Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale et d’assurer sa sécurité dans un monde bipolaire. 

Chez Wilson, il s’inscrit dans une logique d’adaptation économique et politique face à l’évolution du marché commun européen, dans une période où l’intégration régionale apparaît de plus en plus comme un levier de croissance. Cependant, le Parti travailliste est alors traversé par une tension interne vis-à-vis de la question européenne. Wilson lui-même ne souhaite pas que les directives de la Communauté économique européenne remettent en cause le programme socialiste qu’il entend mettre en œuvre en matière économique. 

Néanmoins, après l’adhésion du Royaume-Uni à la CEE en 1973 sous le gouvernement conservateur d’Edward Heath, Wilson adapte sa position et, pour trancher la question, soumet l’appartenance du pays à un référendum en juin 1975. Le scrutin aboutit à une victoire du maintien dans la CEE avec 67 % des voix. Son approche illustre une vision plus souple de la souveraineté britannique, fondée sur l’adaptation aux réalités économiques et sur la nécessité d’intégrer un marché européen en pleine expansion. 

Contrairement à Starmer, qui semble naviguer sans cap clair dans le cadre du Brexit, Wilson avait su poser les bases d’un compromis entre souveraineté nationale et engagement européen, ouvrant ainsi la voie à plusieurs décennies de présence majeure du Royaume Uni . 

Lorsque Tony Blair arrive au pouvoir en 1997, il hérite d’un pays économiquement stable mais politiquement fracturé. Son programme repose sur la modernisation des institutions britanniques, notamment par la dévolution des pouvoirs à l’Écosse et au Pays de Galles. 

Les référendums organisés en 1997 conduisent ainsi à la création du Parlement écossais et de l’Assemblée nationale du Pays de Galles en 1999, marquant une transformation institutionnelle majeure. L’accord du Vendredi saint en 1998 permet quant à lui de stabiliser la situation en Irlande du Nord en instaurant un processus de paix et une gouvernance partagée. 

Alignement de BLAIR sur la politique étrangère américaine

Cependant, c’est sur la scène internationale que le mandat de Blair laissera une empreinte durable. Son alignement sur la politique étrangère américaine se manifeste d’abord par son soutien à la guerre du Kosovo en 1999 et son engagement en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001. Mais c’est surtout son soutien à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 qui marquera son héritage, malgré l’opposition d’une partie de l’opinion publique britannique. 

Contrairement à Attlee, qui voyait l’atlantisme comme une nécessité stratégique, Blair en fait une doctrine idéologique, assumant une intervention militaire conjointe avec Washington, même au prix d’une contestation politique et diplomatique majeure. 

Keir Starmer hérite d’un Royaume-Uni en difficulté

La maxime de Sénèque, « nul ne peut longtemps porter un masque : les artifices retombent vite dans leur nature véritable », exprime une loi immuable du rapport entre l’apparence et l’essence. Appliquée à la politique, elle invite à interroger ce moment où la posture cesse d’être tenable, où la façade se lézarde sous le poids des contradictions internes et de la réalité extérieure. 

Le Cardinal de Retz et Sénèque ?

Cette logique s’inscrit dans une mécanique plus vaste, celle que décrivait le cardinal de Retz lorsqu’il affirmait : « Il y a très loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l’application. » Cette séquence, implacable dans son enchaînement, met en évidence les strates du processus décisionnel et les seuils qu’il impose à celui qui prétend gouverner. Ce que Retz souligne ici, c’est la distance abyssale qui sépare l’intention de l’acte, l’idée du fait. Ce n’est pas tant l’absence d’ambition qui produit l’inconsistance, mais l’incapacité à franchir ces étapes décisives, chacune exigeant une rigueur et une cohérence que l’élan initial ne garantit en rien. 

Lorsqu’un pouvoir peine à articuler une vision claire, lorsqu’il oscille entre des considérations contradictoires sans jamais opérer cette transmutation de la velléité en décision, il finit par s’exposer à ce dévoilement brutal qu’évoquait Sénèque. 

La politique n’est pas un théâtre où l’on pourrait indéfiniment maintenir le même rôle, mais un espace où les postures, si elles ne s’arriment pas à une dynamique d’action, finissent par être réduites à leur vacuité. Ce phénomène ne relève pas d’un quelconque principe moral, mais d’une nécessité clinique : tôt ou tard, ce qui n’est que façade se heurte au réel et s’effondre sous son propre poids. 

Loin d’être une leçon, cette observation relève d’une logique inexorable. Ce n’est pas seulement une question de sincérité ou de duplicité, mais une affaire de structure. Toute construction politique qui ne repose que sur l’habileté rhétorique ou l’évitement stratégique se heurte, à terme, à la nécessité de choisir, de trancher, d’assumer un positionnement qui excède la simple gestion du temps. 

Ce que Retz et Sénèque rappellent, chacun à sa manière, c’est que la politique, comme la nature, a horreur du vide.

Nasser Michaëlene-Gabryel