Sahel : Souverainisme, populisme et mauvaise gouvernance. Abdoulahi ATTAYOUB

Abdoulahi ATTAYOUB est Consultant en relations internationales (Sahel) et président de l’Organisation de la Diaspora Touarègue en Europe (ODTE) / Tanat

La question de la souveraineté de leurs pays est devenue un des arguments principaux des juntes malienne, burkinabée et nigérienne pour expliquer les tensions avec l’ancienne puissance coloniale. On découvre ainsi que ces pays, en dépit de la proclamation de leurs indépendances depuis plus de soixante ans, se seraient vus insidieusement confisquer leur souveraineté par cette même France qui a tracé leurs frontières, mis en place les institutions et formé les élites politiques qui ont pris la suite de l’administration coloniale. Les relations avec le reste du monde sont restées soumises à la surveillance et au contrôle de ce parrain protecteur qui garantit une forme de réassurance sur la scène internationale. Quel que soit néanmoins le degré d’exactitude de ce schéma, cela ne saurait suffire à occulter la responsabilité des dirigeants qui se sont trop facilement accommodés de la situation. Il est en effet par trop facile d’estimer que tout ce qui arrive est toujours la faute de l’étranger. 

Au Sahel, plus qu’ailleurs, la marge de manœuvre laissée par les puissances dominantes n’a jamais été pleinement exploitée pour renforcer l’unité des États et affirmer leur capacité à défendre leurs intérêts sur la scène internationale. L’affirmation de la souveraineté d’un pays se construit de l’intérieur, par une gouvernance solide et des institutions cohérentes, et se traduit à l’extérieur par une posture responsable, fondée sur un réalisme politique exempt de populisme. 

Aujourd’hui, les déboires de la France en Afrique de l’Ouest semblent marquer une nouvelle étape dans la relation complexe qu’elle entretient avec ses anciennes colonies. La politique africaine de la France souffre de l’illusion d’une lecture figée des dynamiques sur le continent. Les jeunes générations, bien que marquées par l’histoire coloniale, cherchent à établir des relations nouvelles avec les anciennes puissances coloniales, tout en revendiquant un rapport plus équilibré avec le reste du monde. Cependant, ces changements sont souvent teintés de contradictions, révélatrices des défis internes à ces sociétés, et risquent d’être limités par une part d’émotivité et de symbolisme. 

Au Mali, par exemple, depuis l’arrivée de la junte actuel au pouvoir, la communication politique extérieure se concentre sur la critique de la France et de ses pratiques jugées paternalistes, voire hostiles. Bien que cette posture puisse être perçue comme un moyen de renforcer le sentiment souverainiste, elle ne masque pas les défis internes du pays. En effet, cette obsession anti-française occulte souvent les insuffisances des autorités maliennes face aux grands défis qui les attendent. La manière la plus efficace d’affirmer la souveraineté d’un pays reste de démontrer une gouvernance irréprochable, capable de fédérer la population autour d’un projet national inclusif, au service de toutes les communautés du pays. 

De la légitimité des élites ?

Il est difficile de donner toute sa légitimité à cette nouvelle revendication de souveraineté quand ceux qui la portent échouent à interroger leur propre responsabilité dans la dégradation de l’image politique du continent. Les scandales de corruption, l’incompétence et l’indifférence des dirigeants africains face aux souffrances de leurs peuples fragilisent la crédibilité de leurs discours souverainistes. L’incapacité à assumer une gouvernance juste et équitable soulève des questions sur la légitimité de ces élites à représenter véritablement les intérêts de leurs citoyens. 

Certains pays africains, encore loin d’avoir stabilisé leurs institutions, semblent ignorer que la résolution de leurs problèmes internes est une condition essentielle pour préserver l’unité nationale et susciter un patriotisme authentique. Les slogans populistes risquent de vite révéler leurs limites. Certaines attitudes, notamment de la part des néo-panafricanistes, nourrissent même des stéréotypes et clichés néfastes, contribuant ainsi à l’isolement de l’Afrique sur la scène internationale. Si la politique de certains pays occidentaux a certes nourri un sentiment de rejet à travers leurs comportements arrogants, les pays africains gagneraient à privilégier le pragmatisme et à faire preuve de réalisme pour se faire respecter et participer activement à l’élaboration de nouveaux équilibres mondiaux. 

La forme de démocratie la mieux adaptée ?

Tant que les élites africaines n’enverront pas une image digne de respect, elles continueront de subir la condescendance d’autres acteurs internationaux, qu’ils soient occidentaux ou non. Les Chinois, Russes, Turcs, Iraniens ou Indiens pourraient reproduire les mêmes attitudes envers l’Afrique si ces incohérences de leadership persistent. 

Les pays du Sahel doivent enfin s’interroger sur la forme de démocratie la mieux adaptée à leurs réalités. Les modèles importés, souvent imposés sans réflexion sur les spécificités africaines, ne servent qu’à masquer la véritable essence de la démocratie. Cette dernière est trop souvent réduite à de simples simulacres d’élections, sans fondement véritablement démocratique, où la corruption et la mauvaise gestion sont omniprésentes. L’obsession autour du troisième mandat illustre la faiblesse des exigences démocratiques, centrées davantage sur des questions de pouvoir personnel que sur la qualité de la gouvernance. 

La diversité des communautés et le respect des droits fondamentaux de chacune doivent être au cœur de toute réflexion sur un modèle de gouvernance capable de garantir l’unité et l’épanouissement des peuples. Tant que l’État ne saura pas instaurer des équilibres justes et équitables entre ses communautés, il ne pourra espérer incarner une autorité véritablement légitime. Le vote ethnique est une réalité qui doit être prise en compte dans l’organisation politique de ces pays, afin de garantir une représentation véritablement inclusive. Dans ce cadre, le Mali, par exemple, avec la junte actuelle, semble privilégier l’hégémonie d’une communauté ethnique au détriment de l’intérêt national, ce qui risque de compromettre gravement l’avenir du pays.

Ces fragilités internes expliquent en partie l’incapacité de certains États à mettre en place des stratégies de sécurité efficaces face aux menaces qui pèsent sur leur stabilité. À cela s’ajoute la difficulté des intellectuels à jouer leur rôle, à savoir alerter sur les dérives du pouvoir et les dangers d’un populisme qui entretient les situations qu’il prétend combattre. 

Tant que les élites africaines continueront à être aveuglées par des complexes historiques et un formatage intellectuel étranger à leurs réalités, elles ne parviendront pas à produire un modèle de gouvernance véritablement adapté à leurs sociétés. Dans un monde en quête de nouveaux équilibres, l’Afrique semble encore mal engagée, et une partie de ses élites semble plus encline à se lamenter qu’à interroger leur propre responsabilité dans le destin du continent. 

Abdoulahi ATTAYOUB

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