Quand un département, l’Allier, par sa coopération avec la Mongolie depuis 24 ans,
a reçu en octobre 2023 la plus haute distinction de ce pays, des mains du Président de la République de Mongolie
Depuis 24 ans, l'Allier, épaulé par l'Association Pays d'Allier-Uvurkhangaï (APAU), est engagé dans de nombreux domaines, dans un partenariat « gagnant-gagnant » avec la province mongole de l'Uvurkhangaï. Une coopération dans laquelle la Francophonie n’est pas oubliée. Qu’un département de 335000 habitants, ait été décoré de la plus haute distinction de la République mongole, ne pouvait que nous amener à rencontrer les protagonistes de cette coopération exemplaire, Véronique Hérupé, chargée de mission coopération internationale au Conseil départemental de l'Allier et Fabrice Dubusset Directeur artistique, metteur en scène à la Compagnie Procédé zèbre, partenaire de cette coopération, mais également très engagé avec la jeunesse, dans des projets culturels pour une francophonie vivante et innovante.
Véronique Hérupé et Fabrice Dubusset
Entretien réalisé par Jean Claude Mairal
I-Dialogos I-Dialogos: Véronique Hérupé, depuis de très nombreuses années vous pilotez en tant que chargée de mission au sein du Conseil général, puis du Conseil départemental de l'Allier, de nombreuses coopérations: Mali, Sénégal, Maroc et Mongolie. Sans sous-estimer l'intérêt des autres coopérations, ce qui retient notre attention, c'est celle concernant la Mongolie. Que le département de l'Allier ait été décoré récemment par le Président de la République mongole, lors de sa visite officielle en France, de la plus haute distinction de ce pays, n'est vraiment pas anodin ! C'est le signe que la coopération de l'Allier est perçue dans ce pays comme extrêmement utile, efficace et très pertinente. Le département de l'Allier doit être fier de cette distinction et de la reconnaissance de son action? Présentez-nous cette coopération !
Véronique Hérupé : 9 000 kms séparent le département de l’Allier et la province centrale de l’Uvurkhangaï en Mongolie. Pourtant, les relations de coopération entre le Conseil départemental de l’Allier et la Province de l’Uvurkhangaï initiées il y a bientôt 25 ans ont développé des liens forts d’amitié et de solidarité entre les populations de l’Allier et de l’Uvurkhangaï. La volonté commune du Département et de la Province est de poursuivre un processus durable de coopération au service de leurs populations respectives. Toutes les actions du partenariat Allier-Uvurkhangaï sont construites dans une démarche de formation et de transfert de savoir-faire entre professionnel(le)s et technicien(ne)s des deux territoires. La diversification des échanges de compétences a permis de pérenniser le partenariat. Le renforcement des capacités et des compétences, l’action sociale et de santé (mère-enfant, reconnaissance et pris en charge du handicap), l’égalité entre les femmes et les hommes, le développement touristique et le patrimoine culturel, l’aménagement rural et l’environnement, l’agriculture-maraîchage, l’action socio-culturelle, le sport, l’éducation/formation et la jeunesse, le développement durable, la promotion des droits humains et éducation à la coopération e à la solidarité internationale des citoyens des deux territoires constituent les objectifs conjoints de la coopération décentralisée entre le Conseil départemental et la Province de l’Uvurkhangaï. Oui nous pouvons être fiers de cette coopération dynamique, portée par le souffle d’une jeunesse mongole avide d’apprendre, d’expérimenter et d’innover avec le « troisième voisin » qu’est la France. Les soutiens des ambassades de Mongolie en France, de France en Mongolie, du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères viennent récompenser l’exemplarité de cette coopération.
I-Dialogos: Parler de coopération, c'est avoir des interlocuteurs et construire des actions en toute confiance. Qu'en est-il avec vos partenaires mongols? Avec les autorités du pays? Avec les autorités locales ?
Véronique Hérupé : La coopération Allier-Uvurkhangaï existe depuis 24 ans. Les partenaires se connaissent bien et maîtrisent parfaitement leurs modes de fonctionnement respectifs. La confiance et le respect se sont construits et renforcés au fil de ces 24 années d’échanges à travers les nombreuses missions en Allier et en Uvurkhangaï. Notre coopération a bien évidemment évolué depuis 2000 accompagnant les changements institutionnels mongols et les évolutions françaises liées à cette compétence. Elle s’inscrit désormais dans le plan d’actions de la Province. Le renouvellement générationnel des élu(e)s et professionnel(le)s mongo (e)s a permis de recentrer les priorités d’actions, d’impliquer de nouveaux partenaires dans l’Allier et dans l’Uvurkhangaï pour développer des axes innovants de projets, notamment celui de la « coopération jeunesse francophonie » soutenue également par l’Alliance Française d’Oulan Bator.
I-Dialogos: Cette coopération avec la Mongolie est féconde pour vos partenaires mongols, elle l'est certainement pour vos différents partenaires du département engagés à vos côtés dans cette coopération ?
Véronique Hérupé : Le Conseil départemental de l’Allier a impliqué depuis 25 ans un réseau riche de partenaires de son territoire pour partager leurs compétences et savoir-faire avec nos partenaires mongols dans les différents domaines de notre coopération : établissements de santé, établissements scolaires (généraux et professionnels), exploitations agricoles et forestières, entreprises, artistes et établissements culturels, collectivités locales, établissements touristiques… La coopération Allier-Uvurkhangaï : un vecteur fort de mobilisation à l’international pour notre département et un rayonnement de notre territoire dans les réseaux nationaux et internationaux de coopération.
I-Dialogos: Véronique Hérupé, avec une si belle dynamique, vous n'allez certainement pas vous arrêtez en si bon chemin, vous avez certainement d'autres projets pour 2025.
Véronique Hérupé : Bien-sûr, l’aventure continue, toujours avec la volonté commune d’expérimenter de nouveaux axes de projets. 2025 sera également l’année de commémoration des 25 ans de notre coopération, couplée avec les 60 ans des relations diplomatiques franco-mongoles. L’axe coopération-jeunesse-francophonie sera le fil rouge de cet anniversaire qui verra 2 temps forts : -en avril en Mongolie : plusieurs missions seront présentes dans l’Uvurkhangaï et à Arvaikheer, capitale de la Province (une mission santé de l’association APAU, une mission de formateurs cuisine du Centre de Formations d’Apprentis IFI 03, une mission culturelle de la Compagnie Procédé Zèbre) -dans l’Allier en mai à l’occasion du 10ème festival « Water is Memory » de la Compagnie Procédé Zèbre.
I-Dialogos: Véronique Hérupé, votre enthousiasme fait chaud au cœur !
Véronique Hérupé : Merci mais l’enthousiasme, la curiosité, l’envie d’apprendre, de découvrir, de partager et d’avancer de nos partenaires sont contagieux et il est facile de se laisser emporter par le souffle venu des grandes steppes.
I-Dialogos: Fabrice Dubusset vous êtes directeur artistique et metteur en scène à la Compagnie Procédé zèbre, et depuis cette année partenaire de la coopération de l'Allier avec la Mongolie et la Province de l'Uvurkhangaï, en intégrant celle-ci par l'intermédiaire du théâtre. Comment voyez-vous une telle coopération artistique entre partenaires de cultures et de langues aussi différentes? Que retenez-vous de cette expérience pour vos propres pratiques artistiques ?
Fabrice Dubusset :Tout d'abord il y a un langage commun aux arts de la scène et c'est cette recherche de vérité dans l'émotion que l'on peut susciter auprès des différents acteurs et publics. Dans le travail de coopération artistique que la compagnie développe depuis plusieurs années, il nous est important de construire ensemble, avant même de penser le travail de création et ceci afin de le nourrir plus tard par un travail que nous pourrions considérer comme un laboratoire de recherche. La rencontre avec le théâtre d'Arvhaikheer à travers un premier « Laboratoire » en juin 2024 a tout de suite été positif, Aurélie Raidron (Chanteuse) et Cyril Meysson (guitariste) de la compagnie Procédé Zèbre ont tout de suite avec les musiciens du théâtre d'Arvaikheer su construire des séquences musicales au service des danseuses, danseurs, actrices et acteurs mongols. Ce travail s'est renforcé en Octobre 2024 lors de leur venue en France et une trame autour du projet de création « Esprit Nomade » s'est construite autour d'une thématique commune : le dérèglement climatique, la rareté de l'eau … Comme dans toutes nos expériences à l'international nous apprenons toujours et encore, ce fameux « apprentissage tout au long de la vie. »... Dans l'objectif du projet « Esprit Nomade », il a été intéressant de rechercher une dynamique commune comme la musique et la danse et aussi la notion de s'exprimer pour les mongols en français (avec des petites phrases) et réciproquement pour trouver des pistes à développer avec le théâtre.
I-Dialogos: Véronique Hérupé, Fabrice Dubusset et sa compagnie s'intègrent dans le projet "L'esprit Nomade" d'apprentissage du français par le théâtre et la cuisine avec le centre d'apprentissage IFI03. Lier Cuisine et théâtre, c'est original, mais quel est le lien entre eux ?
Fabrice Dubusset : Le premier lien c'est la francophonie, apprendre et échanger, Il y a matière à réfléchir ensemble sur des dispositifs innovants qui permettent de créer une pédagogie dynamique et visible, travailler les saveurs des ingrédients c'est aussi une méthode que j'affectionne particulièrement au théâtre... Alors nous pouvons imaginer que les sens peuvent être mis en jeu dans une production future où les odeurs de cuisine, les parfums de la steppe et le théâtre composeront une musique des sens .
Véronique Hérupé : Tout à fait d’accord avec Fabrice et je rappelle que ce projet a été cofinancé par le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères dans le cadre de « l’Appel à Manifestation d’Intérêt Francophonie 2024 » sur les deux volets pour « développer un dispositif créatif et pédagogique innovant, échanger sur les pratiques artistiques et professionnelles franco-mongoles et inviter les amateurs dans la « yourte créative ».
I-dialogos: Fabrice Dubusset, votre compagnie est très ancrée à Vichy et dans le département de l'Allier et pourtant vous ne cessez pas de partir vers d'autres horizons et de développer avec les jeunes des projets européens et à l'international ?
Fabrice Dubusset : L'ancrage sur un territoire et le travail mémoriel que la Cie réalise depuis de nombreuses années se doit de se nourrir d'une ouverture à l'international, cette richesse dans la culture des autres est belle à inviter la jeunesse à trouver des raisons de croire en le monde qui parfois les décourage …
I-Dialogos: Fabrice Dubusset, depuis de nombreuses années, tant en Europe, qu'en Afrique, en Guyane et aujourd'hui en Mongolie, vous mettez la francophonie au cœur de votre action d'homme de théâtre et de passeur de mémoire. Connaissant votre parcours, je ne peux m'empêcher de vous demander si vous vous reconnaissez dans ces propos que m'avez tenu Walles Kotra, Kanak, journaliste, ancien directeur exécutif chargé de l’Outre-mer au sein du groupe France Télévisions, "La francophonie ne peut être que plurielle parce que chaque situation est si particulière. C’est exactement ce que nous vivons dans les outre-mer. La société créole est une fulgurance qui, en se renforçant, a fait émerger d’immenses personnalités culturelles française et francophone : René Maran, Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau ou Aimé Cézaire pour ne citer que ceux-là.... En Océanie, les voix de Chantal Spitz, Titaua Peu ou Dewe Gorodey, irriguées par nos cultures ancestrales et nos langues multiples se sont imposées...Malgré des situations spécifiques, les outre-mer ont été et sont toujours le théâtre d’une bataille capitale : celle du français, confrontée aux cultures du monde. Il y a eu la colonisation et aujourd’hui, nous vivons l’Archipel. Nous parlons le français parce que cette langue a été capable de s’adapter, s’imbiber, comprendre et exprimer nos histoires, nos cultures et nos complexités. Nous parlons le français parce que cette langue ne nous dénature pas mais peut au contraire nous sublimer. C’est sa force et sans doute son avenir..."
Fabrice Dubusset : Je suis : Tout à fait d'accord !Je rajouterai pour en avoir parlé en Guyane, que le travail de mémoire reste un point très important et parfois délicat mais nécessaire pour permettre une meilleure compréhension de nos différences et surtout de nos richesses culturelles, reprendre en compte les différentes ethnies et cultures d'un territoire, de même qu'il me semble important que la « défiance » justifiée vis à vis d'une position qui resterai dans « l'entre soi » doit céder la place à un dialogue de l'instant présent, d'une réalité de terrain avec les associations et les jeunesses.
I-Dialogos: Pour Gilles Vigneault , le québécois« La francophonie, c’est un vaste pays, sans frontières. C’est celui de la langue française. C’est le pays de l’intérieur. C’est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de vous. ». Belle définition de la francophonie, n'est-ce pas Véronique et Fabrice ?
Fabrice Dubusset : Oui très belle ! Je me risquerai à dire que la francophonie doit être comme l'amour, 1 + 1= 3 : il me semble important de considérer la rencontre comme une valeur supplémentaire ajoutée, préserver l'identité de chacun et ensemble réaliser cette troisième force qui nous réunit autour d'un projet.
I-dialogos: Fabrice Dubusset, que pensez-vous des propos de Yves Bigot, président de la fondation des Alliances françaises qui écrit, dans un hors-série de L’Eléphant, « La France est le seul pays qui ne s’intéresse pas à la francophonie », ce qui fait que les Français « ne mesurent pas combien la Francophonie et la langue française sont notre force. » Pour lui, et nous y adhérons complètement, « La conscience de la force de la francophonie est notre avenir. » Et il ajoute : « Pour la nouvelle génération, la Francophonie représente un avenir culturel et géopolitique, et un futur économique crucial. » Comment faire que les citoyens, les collectivités, les associations et les entreprises françaises s’emparent et fassent leur la Francophonie ?
Fabrice Dubusset : Oui je pense que s’il est vrai que la France ne s'intéresse pas suffisamment à la Francophonie …Il est vrai aussi qu'il peut y avoir encore une confusion dans le sens du mot Innover ! Je crois que tout miser sur le numérique et l'I.A. ce n'est pas innover, la force d'un projet en direction de la jeunesse doit retrouver une dynamique à travers les valeurs humaines véhiculées mais surtout un projet partagé par un collectif à bien souvent plus de force qu'un coup médiatique ! Créer du lien, provoquer des rencontres, un vrai travail de recherche sur les projets, construire dans la durée, voilà, il me semble des valeurs pour que l'on puisse s'emparer d'une Francophonie vivante et actuelle. Le temps de l'instant présent et de l'écoute doivent se décliner sur scène mais aussi dans les échanges pour réellement construire un avenir qui s'inscrive dans une durée, un travail de fond est nécessaire pour des résultats véritables et durables.