Afrique-Monde : sérénades et sommets tous azimuts. / Serge Mathias TOMONDJI

Journaliste et éditorialiste béninois, notre ami Serge Mathias TOMONDJI est installé au Burkina Faso depuis 1993, où il a assumé différentes fonctions et responsabilités dans plusieurs organes de presse écrite et en ligne. Il a également présenté plusieurs émissions à la radio, avant de poursuivre, depuis 2017, son aventure professionnelle à la télévision, comme éditorialiste et comme animateur de débats sur des sujets variés, concernant notamment l'actualité et les mutations sociopolitiques du continent africain, ainsi que sur la culture, la société, les idées.

Entre l’Afrique et le reste du monde, il y a des tas de sommets qui s’enchaînent et s’enchevêtrent selon des canons et des schémas que nos dirigeants ne maîtrisent pas toujours. Que rapportent finalement tous ces fora — Afrique-France, Afrique-Chine, Afrique-Japon, Afrique-Inde, Afrique-États-Unis, Afrique-Arabie saoudite, Afrique-Turquie, et maintenant Afrique-Italie, Afrique-Corée — qui font valser des milliards de dollars américains sur la piste du développement du continent noir? 

DES SOMMETS  ?   

En veux-tu, en voilà! Des foras à la pelle, qui font courir l’Afrique d’une capitale européenne à une ville asiatique, en passant par l’Inde et autre. Et telle une jeune fille en mal d’idylle, l’Afrique se laisse conter fleurette aux rythmes de sérénades multiples. C’est à qui renchérira le mieux, avec, chaque fois, une corbeille pleine de promesses qui sentent bon les contrats, mais qui doivent ensuite passer par l’étroit entonnoir de la concrétisation. 

On compte ainsi aujourd’hui une bonne dizaine de ces sommets entre l’Afrique et le reste du monde, où des pays développés, émergents ou évolués, mettent les bouchées doubles pour faire la cour à l’Afrique. Et nos chefs d’État, dans un ballet incessant d’avions, se déportent allègrement dans telle ou telle capitale du bout du monde pour conclure des marchés, nouer des accords, s’entendre parler du développement de leurs pays… 

Après le très pré-carré sommet France-Afrique, on a ainsi vu se conclure des sommets entre l’Afrique et la Chine, le Japon, la Turquie, l’Inde, la Russie, les États-Unis, et récemment avec l’Arabie saoudite, l’Italie et la Corée du Sud. Avec ses 55 pays membres de l’Union africaine, l’Afrique, qui compte actuellement «1 490 327 108 habitants, avec un taux de croissance annuel de 2,332%», selon populationtoday.com (soit 18% de la population mondiale), en est donc encore à courir après des dons et assistance de certaines nations de la planète.

 «DIPLOMATIE DES SOMMETS

» Que gagne vraiment l’Afrique, tout un continent dont les pays, nombreux, affichent des diversités patentes et des inégalités criardes en matière de développement, à dialoguer, plutôt en position de faiblesse, avec des pays, pris séparément! Dans un article paru le 12 avril 2023, Ronak Gopaldas, directeur de Signal Risk et professeur au Gordon Institute of Business Science, indique dans ISS Today, que cette «diplomatie des sommets» permet plus aux grandes puissances de «se faire des amis et d’influencer les gens en Afrique». 

En nourrissant des ambitions géopolitiques évidentes et en entretenant ainsi, et même en exacerbant «la concurrence entre les puissances mondiales», ces rencontres qui font se déplacer des dizaines de chefs d’État africains apportent-ils au continent autre chose que le faste d’une rencontre à l’autre bout du monde? La question mérite d’être posée. Et même d’être tranchée, quand on sait que le continent africain sert désormais de champ fertile à une «nouvelle guerre froide» qui amène les puissances internationales à «se constituer des alliés et à situer leurs adversaires». 

Ce sont donc les intérêts des autres qui sont, de prime abord, au cœur de cette cour assidue dont l’Afrique est l’objet de toutes parts, et il est sage et responsable de le savoir. En effet, comme l’a si bien indiqué Joseph Ki-Zerbo, «on ne développe pas, on se développe». 

Les discours et les promesses qui concluent ces sommets pompeux ne devraient donc pas faire perdre… le Nord à certains de nos leaders qui pensent devoir tout attendre des autres. Là-dessus, et comme on est bien servi que par soi-même, l’Afrique a l’impérieuse nécessité de traduire dans les actes quotidiens la belle exhortation de Thomas Sankara qui invite à… «produire ce que nous consommons, consommer ce que nous produisons».

JOUER SA PROPRE CARTE    

De fait, les révolutionnaires  béninois de 1972 n’en pensaient pas moins lorsqu’ils nous incitaient à… «compter d’abord sur nos propres forces, nos propres ressources, sur l’initiative créatrice des larges masses laborieuses pour nous libérer de la domination étrangère». 

Malheureusement, notre Afrique a vendangé ces sages conseils, préférant sans doute se faire développer par les ressources, les moyens, les efforts des autres, et selon leurs desideratas. Il ne s’agit pas, ici, de jeter aux orties ces rendez-vous qui montrent bien l’attrait que présente le continent aux yeux du monde, d’un monde qui bouge et qui change. À ce bal des opportunités, l’Afrique devrait plutôt jouer sa propre carte, définir ses vraies priorités et rester maître du jeu d’influence qui se déroule par-dessus sa tête. 

À ce propos, notre continent prend-il suffisamment conscience de sa force, de ses atouts, qui résident dans «son profil démographique — d’ici 2050, la planète comptera un Africain sur quatre ! —, ses ressources minières et son intégration grandissante», et que le monde entier lui envie? 

Conscients sans doute de l’enjeu et tenant quelque peu compte des critiques, ces différents sommets entre l’Afrique et un pays du monde développé ou émergent peaufinent leurs stratégies et évoluent vers des schémas nouveaux. Chacun travaille à apporter sa différence, proclamant agir pour le bien des Africains. Mais on sait bien que ces yeux doux envers le continent noir et la valse des milliards de dollars de financement que l’on fait miroiter avec le sourire sont plutôt destinés aux immenses richesses du sol et du sous-sol. 

CONSULTATION ET CONCERTATION, SVP !  

Tenez, le 31 janvier 2024 à Rome, lors du tout premier sommet du genre entre l’Italie et l’Afrique, la Première ministre italienne, Georgia Meloni, promet la main sur le cœur «une coopération entre égaux, loin de toute imposition prédatrice ou position charitable à l’égard de l’Afrique». Car, insiste-t-elle, «le monde ne peut pas penser à l’avenir sans penser à l’Afrique». Ce qui justifie le plan de six milliards de dollars américains annoncé pour «renforcer le partenariat entre l’Italie et l’Afrique» afin de bâtir «un pont pour une croissance commune». 

Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Fakit Mahamat, n’a alors pu que… saluer le soutien promis, à travers des actions qui «s’alignent sur les priorités de l’Afrique», en notant toutefois qu’une «consultation préalable avec le continent africain aurait été souhaitable, en particulier lors de l’élaboration du plan». Traduction: ce plan est l’émanation du gouvernement italien, qui l’a conçu selon ses intérêts, sa politique, ses objectifs… 

En est-il autrement avec la Corée du Sud qui vient d’entrer dans le cercle de cette ronde de sérénades avec l’Afrique, en organisant, les 4 et 5 juin dernier à Ilsan, au nord de Séoul, la capitale, le premier sommet Corée-Afrique qui «établit un vaste partenariat avec 48 pays africains à fonction antichinoise» avec «la signature de près de 50 accords préliminaires et mémorandums d’accord»? On parle notamment de «promouvoir la coopération dans les domaines du commerce, de l'énergie, des minéraux essentiels et dans un large éventail d'autres secteurs industriels et secteurs économiques». Rien moins que cela! 

UNE AUTRE FORMULE ?

Finalement, l’Afrique prend son panier et va faire son marché partout où on l’invite, sans aucune mainmise sur les termes de l’échange et/ou sur la nature de la marchandise. Il serait alors peut-être temps de privilégier une autre formule, qui se base sur les priorités réelles du continent, définies par les Africains eux-mêmes, selon une planification pertinente des besoins et défis. 

En cela, le sommet Union européenne-Union africaine (UE-UA) semble être un bon moule. Non seulement on se parle entre structures équivalentes, mais aussi on devrait pouvoir passer de la «diplomatie des sommets» à de véritables sommets de développement. Encore faudrait-il cependant que les Africains parlent d’une même voix, s’accordent sur les grands chantiers à bâtir et à consolider, s’obligent à un minimum de rigueur et de bonne gouvernance dans la gestion des projets… Autant dire qu’au train où vont les choses, ce n’est pas demain la veille!

 © Serge Mathias Tomondji, Ouagadougou

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