Après des études de journalisme à l’Université de Wrocław, Ewa MAZGAL, exerça longtemps comme journaliste à la Gazeta Olsztyńska, à Olsztyn, en Warmie-Mazurie, une région du nord-est de la Pologne, au voisinage immédiat de l’enclave russe de Kaliningrad. Ewa, co-initiatrice de I-Dialogos, continue à suivre de très près l’actualité européenne et internationale. Outre le polonais, elle parle les langues anglaise, française et russe. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, ses analyses et témoignages sont particulièrement précieux.
Interview par Pierrick Hamon, le 22.01.2023
I-Dialogos : La Pologne vit de très près le terrible conflit qui sévit aux portes de l’Union européenne. La solidarité avec le peuple ukrainien, notamment à Olsztyn et en Warmie et Mazurie, s’y exprime très concrètement par l’accueil de très nombreux réfugiés ukrainiens. Quel est l’état d’esprit de la population de votre région ? Certains observateurs prédisent que l’UE joue ainsi son propre avenir.
E.M : Aux frontières mêmes de l’Union Européenne se poursuit une guerre qui constitue l’évènement le plus horrible depuis mon enfance. A l’époque tout le monde pensait qu’une nouvelle guerre mondiale serait impossible, mais nous avions donc tous tort ! Après les premiers moments de fièvre, de panique et d’effroi, on ne peut que constater aujourd’hui que la vie au voisinage d’une guerre sanglante, se poursuit comme s’il était possible s’habituer à cette situation ?
Depuis le 24 février 2022, plus de 9 millions d’Ukrainiens ont franchi la frontière polonaise, même si, selon les observations des postes frontaliers, plus de 7 millions d’entre eux sont repartis et rentrés chez eux. Fin septembre, il y avait encore, dans notre pays, 1 million de refugiés ukrainiens. Avant la guerre il y avait déjà 1,3 million d’immigrants économiques venus d’Ukraine, ce qui fait 2,2 millions d’ukrainiens ayant été accueillis en Pologne, soit un total d’environ 3 millions d’étrangers et 8 % de la population polonaise. La Pologne est ainsi devenue un pays d’immigration.
Selon le professeur Piotr Długosz, de l’Université Pédagogique de Cracovie, 73 % des refugiés ukrainiens souffrent de troubles de stress post-traumatique . La Warmie-Mazurie, notre région qui manque cruellement d‘emplois, de capacités éducatives et d’hébergement, n’est donc pas la plus attractive pour les réfugiés, contrairement aux plus grandes agglomérations comme Varsovie et Wrocław, là où les gens ont du travail, là où les enfants peuvent aller à l’école, là où une majorité de refugiés peut être prise en charge. L’environnement y est plus tranquille. Tout le monde attend la fin d’une guerre dramatique comme le sont toutes les guerres.
Une voisine ukrainienne réfugiée à Olsztyn m'a dit avoir rendu visite à son fils qui est soldat sur le front ukraino-russe. Elle a à peine reconnu son enfant dont les cheveux sont devenus gris…
I-D : Le thème prioritaire « Médias et démocratie » a été retenu pour cette année 2023. Est-ce opportun et utile, dans une approche internationale. Votre participation au groupe chargé, au sein de I-Dialogos, d’en préciser les objectifs et la méthode, constitue aussi une reconnaissance de votre expérience professionnelle. Comme journaliste polonaise connaissant cette dimension internationale, quelles seraient vos idées et propositions justement autour de la question du dialogue ?
E.M : Le dialogue n’est il pas l’activité principale dans toute vie sociale ? Rappelons-nous la table ronde, en Pologne dans l’année 1989, qui a engagé les changements politiques radicaux de manière pacifique.
Aujourd’hui la situation polonaise est sans précédent depuis 30 ans. Le gouvernement semi-autocratique remet en cause les règles mêmes de l’Etat de droit, un Etat propriétaire des chaines de télévision et radios publics, ainsi que de la presse régionale. Ces médias sont ainsi devenus de véritables vecteurs de propagande, notamment mais pas seulement, contre l’Union Européenne.
Plus fondamentalement, nous devons admettre que les médias sont, pour le genre humain, bousculés par une vraie révolution silencieuse, irrévocable et irréversible, avec le développement d’Internet et des réseaux sociaux. Nos traditionnels canaux de la communication se meurent alors qu’apparaissent de nouveaux gourous, de nouveaux prophètes, influenceurs, youtubeurs, instagrammeurs et autres ticktokeurs.
C’est l’époque, selon Katarzyna SZYMIELEWICZ de la Fondation Panoptikon, de l’apparition d’une sorte de nouvelle « biomasse numérique ». Cette masse n’existe que si l’on reçoit la « marchandise » gratuitement alors qu’il faut, en payant, confier nos données personnelles et que nous devenons, ainsi et à notre tour, cette « marchandise ».
I-D : Vous faites partie du Comité constitutif du Think tank international I-Dialogos. Quel sens donnez-vous à ce soutien ? qu’en attendez-vous ? Quel sens donnez vous, comme journaliste polonaise, à cet engagement ?
E.M : Quid de I-Dialogos dans cette environnement ? A quoi cela pourrait-il servir ? D’abord faire ce que nous savons faire et que nous aimons : écrire, écouter, dialoguer, en utilisant les technologies modernes, en nous organisant, en créant de la sociabilité en réseau, en se rencontrant ainsi, en apportant notre soutien des mouvements et activités pro-démocratiques, en faisant en sorte de mieux nous connaître, et tout cela dans un monde qui nous dépasse, nous journalistes et membres du réseau I-Dialogos.
Nous devons être comme une « petite ile » que nous pouvons développer à notre manière et selon nos choix partagés, une « ile » qui pourra rayonner…. Est ce suffisant ?
Est que cela intéressera et plaira ?
Les grands créateurs, les grandes créatrices ne se posent jamais cette question. Ils n’attendent pas que cela plaise ou non. Ils créent ce qui leur semble important et précieux pour eux, c’est tout.
D’où mon intérêt, et mon engagement, en tant que journaliste polonaise et européenne, dans cette initiative créatrice qu’est I-Dialogos, comme think tank transnational centré sur les nécessités du dialogue, et que je soutiens depuis le début.
Ewa MAZGAL, journaliste polonaise
Olsztyn, le 22.01.2023