Richard WERLY est le correspondant pour la France et l'Europe du magazine suisse Blick, après une longue carrière au Temps, basé à Genève. Journaliste chevronné spécialisé dans les thématiques politiques et sociales depuis 1987, il est titulaire d'un Master de Sciences Po Paris. Ses reportages lui ont valu des récompenses telles que le Prix Jean Dumur en 2020 et le Prix Nicolas Bouvier en 2006. Son expérience internationale est vaste, ayant servi comme correspondant à Bangkok, Bruxelles et Tokyo. Ses analyses sont illustrées dans des articles comme Voyage dans l'autre France et Qatar: les clés de Gaza ou Attal et Macron sont-ils hors-sol?' Il contribue également au podcast de Blick «Café Helvetix» et participe régulièrement aux émissions d’actualité sur les chaînes TV France 24 et TV5 Monde.
Richard, qui publie une newsletter, en accès libre, avait présenté une communication particulièrement appréciée au colloque du 18 octobre dernier à Montréal (Canada) Education aux Médias à l’initiative de l’UQAM et en partenariat avec I-Dialogos. Il vient de publier, avec François d’Alançon, ancien responsable du service étranger du journal La Croix, une analyse passionnante et très fouillée du risque de déclin qui pèse sur la France : « Le bal des illusions / ce que la France croit, ce que le monde voit ».
Propos recueillis par Pierrick Hamon et Jean-Claude Mairal
L'intervention de Richard au colloque UQUAM/I-Dialogos 2023 de Montréal
I-Dialogos: A propos des Jeux Olympiques qui viennent de se dérouler avec succès en France, selon vous, cet événement change t-il la donne ? Le pays a-t-il retrouvé le narratif positif, dont il avait tant besoin ?
Richard WERLY : Je ne crois pas au changement structurel engendré par le succès indéniable de ces Jeux Olympiques de Paris 2024. Les problèmes rencontrés aujourd’hui par la France dans le monde, la mise à l’épreuve de sa puissance, et les insuffisances qu’elle peine de plus en plus à combler, restent des obstacles qu’il lui faut surmonter.
Vous avez raison en revanche sur le narratif. Les Français disposent avec ces Jeux d’un succès patriotique de taille XXL, qui parle au monde entier. Ils peuvent désormais dire «Nous l’avons fait», et citer la couverture médiatique internationale très positive engendrée par ces Jeux. C’est une réussite concrète, tangible, saluée de façon presque unanime. Reste à la valoriser comme il se doit. Sans excès. Sans illusions.
I-Dialogos : Vous portez un regard croisé, perçu de l’intérieur et vu de l’extérieur, sur cette sorte de « déclinisme français ». Est-ce parce que les Français, qu’ils soient simples citoyens ou responsables politiques, journalistes ou experts plus ou moins autoproclamés, pensent que le monde et l’Union européenne, fonctionnent comme une « France en grand » ?
Est-ce parce qu’ils ne voient pas que « Les autres ne pensent pas comme nous », pour reprendre le titre du récent livre de l'ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne, avec qui vous semblez partager ce constat ?
Richard WERLY : Nous parlons du déclin français dans notre livre pour mieux dénoncer la passion qu’il suscite chez de nombreux auteurs et intellectuels.
Au fond, l’une des spécificités de la France, qui surprend toujours à l’étranger, est sa capacité à s’auto flageller, à s’installer dans le négatif, la morosité, l’anxiété.
Le paradoxe est que nous exposons, dans notre livre, de nombreuses raisons d’être inquiet sur la France et sur sa capacité à affronter l’avenir. Mais il y a une différence entre les réalités et l’état d’esprit. Regardez les vitrines de librairie: elles sont plein de livres qui conjuguent, d’une façon ou d’une autre, le déclin français !
En clair, la France est la championne de la double peine. D’une part, elle est confrontée à une perte réelle de sa puissance et de son influence. De l’autre, le discours dominant est celui du déclin programmé, inévitable. Les Jeux de Paris 2024 sont peut être le premier événement, depuis de longues années, à renverser cette tendance.
I-Dialogos : Est-ce parce que la France reste un pays au fonctionnement très vertical, avec une centralisation excessive qui pousse les citoyens à attendre tout de l’Etat ? Vous relevez que les étrangers - et pas seulement en Suisse voisine - ont du mal à comprendre le fonctionnement de notre système à la fois marqué par cette centralisation et cette sorte de « mille feuilles » institutionnel qui permet tous les contournements.
Richard WERLY : Nous avons passé plus de deux ans à interroger des observateurs étrangers de la France à travers le monde. Et pas n’importe quels observateurs.
Nous avons parlé à de bons connaisseurs de la France, qui en parlent souvent la langue, en maitrisent les codes et sont familiers de son système politique. A les entendre, le pays est pris dans un étau: sa structure administrative, bref, son État est de plus en plus rigide et obèse, donc moins performant, alors que la société lui demande toujours plus.
D’où la question qui fait le plus mal: à savoir celle des moyens. Le pays a de moins en moins les moyens de faire face à ses exigences et d’être à la hauteur de ses ambitions proclamées. Sauf, avec ces jeux de Paris, dans le domaine du sport…
I-Dialogos : Ce double sentiment contradictoire d’être à la fois en déclin et de prétendre être la référence démocratique et le « pays des Droits de l’Homme » ne s'apparente t'il pas à une sorte de schizophrénie ?
Richard WERLY : L’Union européenne est travaillée de l’intérieur par des mouvements contradictoires. Mais les élections européennes du 9 juin dernier ont toutefois démontré que la partie de sa population favorable à l’Europe unie continue de devancer trés largement ceux qui la rejettent.
Dans le cas de la France, la donne est différente. Le pays, si je devais résumer, souffre de l’envie qu’il suscite. Nous avons constaté partout une envie de France. Même les pays africains les plus fâchés contre la France aujourd’hui regardent avec grand intérêt ce qui se passe dans leur ancienne puissance coloniale.
Le problème, c’est que la France est obligée partout de saupoudrer, faute de moyens. Elle décrit parce qu’elle ne fait pas ce que ses interlocuteurs attendaient d’elle. Elle est mise en échec en Nouvelle Calédonie, là où Emmanuel Macron a solennellement déclaré que le destin de la France est en jeu. C’est ce grand écart qui fait mal.
I-Dialogos : La France s’accroche à son 3ème réseau diplomatique mondial tout en se plaignant de la diminution de ses financements. Parmi les observateurs et autres experts abondamment cités, vous ne présentez que le point de vue de ceux de la mouvance « neocons » - néoconservateurs - aux manettes du Quai d’Orsay. Ainsi, reprenant le propos de l’un de ces anciens ambassadeurs, sur cet « antiaméricanisme typiquement français » vous semblez reprendre les thèses de la même mouvance, sans développer l’autre versant qu’est l’« atlantisme » ?
Richard WERLY : Nous n’avons sans doute pas donné assez la parole aux diplomates français, mais ce livre avait pour vocation d’écouter les autres, c’est à dire les étrangers ! Mon avis est que la France a raison de conserver son instrument diplomatique, mais qu’elle n’a pas réussi à réformer son État. C’est le grand dossier qui fâche.
Sur de nombreux sujets, au delà des déclarations des dirigeants politiques, l’État n’est pas la solution - comme il le devrait et comme beaucoup de français le souhaitent. Il est le problème.
Vous nous reprochez de donner un point de vue trop atlantisme. Vous nous avez mal lu: nous disons juste qu’il faut être cohérent. Si elle persiste à incarner une troisième voie entre les Etats Unis et la Chine (par exemple), la France va s’épuiser. A moins qu’elle ne parvienne à convaincre ses partenaires européens. Ce qui, avouez le, est loin d’être gagné.
https://www.blick.ch/fr/news/monde/.
I-Dialogos : Vous soulignez l’inadaptation de la Francophonie institutionnelle actuelle. Ce sont d’ailleurs et paradoxalement les diplomates français qui sont les plus hostiles à la Francophonie, à l’inverse des Etats africains qui jugent celle-ci encore trop française mais la revendiquent. Vous mettez d’ailleurs en évidence l’échec de la Francophonie politique qui serait une nouvelle illusion.
Richard WERLY : La Francophonie de 2024 n’a plus besoin du carcan institutionnel qu’est l’OIF. Elle peut avoir besoin, tous les deux ans, d’un sommet des chefs d’État ou de gouvernement.
Mais pourquoi conserver une organisation institutionnelle qui ne produit presque plus rien et coûte très cher ? C’est typique de ce qui cloche en France. On tarde à tirer les conséquences de réalités incontournables. L’action culturelle de la France est un atout majeur. Sa diplomatie linguistique est un échec total.
Lausanne, le 16 août 2024