Nouveau multilatéralisme ou retour du "Bal des empires"? Pierrick HAMON

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Pierrick Hamon, pour LAB Politiche e culture , 7 janvier 2025

En 2025, l’Organisation des Nations Unies, qui célèbrera son 80e anniversaire, fait face à des critiques croissantes. Le  Conseil de sécurité est régulièrement accusé de paralysie face aux crises internationales, et certaines opérations de maintien de la paix sont jugées inefficaces. La partialité des cinq membres permanents dans la gestion des menaces à la sécurité, alimente un débat récurrent. La représentation insuffisante, notamment des « Autres », dans les principaux organes de l’ONU, suscite des interrogations, remettant en cause l’universalité et l’inclusivité de l’organisation. Bien que l'ambassadrice américaine à l'ONU ait récemment exprimé son soutien à l'attribution de deux sièges permanents pour l'Afrique au Conseil de sécurité, la pérennité de cette proposition reste incertaine sous présidence Trump. Mais c’est la question du droit de veto qui demeure le sujet le plus sensible : sa réforme, pourtant régulièrement évoquée, n'a pas été inscrite à l'agenda de l'institution.

Conscient de l'impasse dans laquelle se trouvent les Nations Unies créées en 1945 dans un contexte géopolitique radicalement différent, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres, avait proposé, avec le soutien de l'Assemblée générale, l'organisation d'un « Sommet de l'avenir ». Ce sommet, tenu à New York les 22 et 23 septembre derniers, visait à envisager un système plus résilient et moins dépendant des seules grandes puissances. Faut-il néanmoins considérer cet événement comme un échec, au regard de son incapacité à faire émerger un mode de fonctionnement mieux adapté aux réalités du monde contemporain ? Pas si sur s’il peut provoquer une prise de conscience des nécessités d’un vrai dialogue  diplomatique…

 Dans une lettre de mission préparatoire, António Guterres avait plaidé, avec une ambition mesurée et un sens aigu du réalisme, en faveur d’institutions multilatérales plus efficaces, orientées davantage vers l’humain que vers des procédures bureaucratiques, afin de mieux répondre aux défis mondiaux qui pèsent sur les peuples et la planète. Il s’agirait alors de réformer les institutions de l’ONU pour qu’elles reflètent enfin les dynamiques géopolitiques actuelles. 

Créée dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, les Nations Unies sont, à l’origine, une initiative des puissances victorieuses. L’organisation avait été bâtie sur le modèle des États-nations, un concept qui, bien que pertinent au XXe siècle – encore que ! – semble aujourd’hui obsolète et même responsable de certains des nationalismes les plus dangereux. Depuis sa fondation, la scène mondiale a radicalement changé, et de nouveaux espaces de dialogue émergent, loin des structures traditionnelles dominées par les grandes puissances, comme en témoigne l’essor des BRICS, et celui des organisations régionales et thématiques. 

Les grandes puissances dites « occidentales », souvent enfermées dans une vision réductrice du monde qui les arrange bien – opposant démocraties et régimes autoritaires, le « bien » contre le « mal », ou encore le monde occidental contre le « Grand Sud » – se trouvent désormais confrontées, et à leur insu, à la réalité d’un monde multipolaire. Ces dynamiques en constante évolution ne peuvent plus être ignorées.

Une remise en question de l'ordre mondial 

Les pays dits du "Grand Sud" représentent désormais une part significative, voire dominante, de la population mondiale et de l’économie globale. Ces nations ne se contentent plus d’observer l’ordre mondial ; elles le remettent en question. Et loin de s'opposer aux puissances occidentales par opposition idéologique, contrairement à ce qui est souvent affirmé par ces dernières, leur ambition est avant tout de participer pleinement au dialogue mondial, et sans exclusivité. Exclure ceux – la Russie - avec qui on est en désaccord ne fait qu’accentuer les menaces. Cette logique de dialogue inclusif était pourtant au cœur de la coopération internationale durant la Guerre froide, malgré des tensions alors particulièrement vives. Les Diplomates occidentaux semblent avoir dangereusement oublié, notamment en Ukraine, les fondements mêmes de la Diplomatie, ce que « Les autres » n’ont pas manqué de relever. 

Voilà pourquoi le récent Sommet du Futur a souligné la nécessité d’une évolution — voire d'une révolution — du système international, afin de le rendre réellement multilatéral et moins dépendant des seules grandes puissances historiques. 

Un exemple criant de cette dérive se trouve dans le fonctionnement du Tribunal Pénal International (TPI). Bien qu’une évolution semble se dessiner, le TPI est souvent perçu comme partial, en particulier en ce qui concerne l'Afrique. De nombreuses interventions militaires occidentales, qu'il s'agisse de l’Irak, de la Libye, de la Palestine, du Liban, ou encore du Congo RDC, sont rarement condamnées, ce qui nourrit un sentiment de "deux poids, deux mesures". Cette perception, qui fragilise la légitimité du TPI, soulève la question urgente d'une réforme de son fonctionnement pour garantir une véritable justice impartiale. 

L’irrésistible montée en puissance de la Chine, constitue un autre tournant majeur. Autrefois marginalisée, la Chine est aujourd'hui une superpuissance économique et militaire. Son ascension magistrale a bouleversé l’équilibre des pouvoirs au sein de l'ONU, notamment avec son accession au Conseil de sécurité. 

Un autre acteur de cette dynamique est l'Inde, qui, en 1945 encore colonie britannique, est aujourd'hui le pays le plus peuplé du monde, la troisième économie mondiale et une puissance nucléaire. Dans ce contexte, son exclusion des membres permanents du Conseil de sécurité apparaît clairement comme une anomalie géopolitique. D’autres puissances émergentes comme le Brésil, l’Iran, la Turquie, l’Afrique du Sud et bien d’autres en Afrique, modifient profondément les rapports de force mondiaux. 

Quant à la Russie, après l’effondrement de l'URSS et les réformes chaotiques et irresponsables de l’ère Eltsine, elle a réussi à reprendre toute sa place au Conseil de sécurité. Ce retour s’inscrit dans une évolution géopolitique post-Guerre froide, marquée par une surprenante reprise de l’économie russe et un rôle accru dans les affaires mondiales, même en pleine guerre avec l’OTAN et en dépit des sanctions unilatérales des occidentaux. Ce regain d'influence russe – dont la réalité est contestée par les analystes occidentaux -  bouleverse encore davantage la donne géopolitique internationale. Face à ces transformations, l'ONU ne pouvait pas, sous risque de progressivement disparaitre, ne pas s’interroger sur son adaptation. 

Dans ce nouveau jeu géopolitique, les membres de l’OTAN – une organisation créée pour faire face à une URSS qui n’existe plus, une organisation qui est pourtant et toujours, et plus que jamais, pilotée par les Etats Unis d’Amérique - avancent de nouvelles cartes. Ils proposent d'ajouter, ce qui en effet, ne serait pas illégitime, le Japon et l'Allemagne comme membres permanents du Conseil de sécurité, une proposition qui pourrait ainsi renforcer l'influence occidentale. Cette seule proposition ne résoudrait évidement pas le problème de la représentation des pays émergents et en développement.

Territoires et participation citoyenne. 

Conscient que le dialogue ne pouvait être limité aux seuls Etats, António Guterres, qui avait installé un Comité composé de personnalités représentant les gouvernements locaux et régionaux, avait souligné que « près de 65% des objectifs de développement durable ne peuvent être atteints sans la participation des gouvernements locaux et régionaux, mettant ainsi en lumière l'importance des territoires et de leurs populations dans le processus multilatéral ». 

Les collectivités locales, réunies sous l’égide de réseaux tels qu’ULCG, jouent un rôle croissant sur la scène internationale. Leur proximité avec les citoyens et leur ancrage dans des réalités locales permettent une meilleure identification des besoins et des solutions adaptées. Cette proximité reste encore trop peu valorisée dans le cadre multilatéral, où les États dominent largement les processus décisionnels. 

Au cœur d’une sorte de gouvernance à multi-niveaux – multilevel governance – l’une des idées émergentes consisterait à introduire une sorte d’Assemblée parlementaire des Nations Unies, qui coexisterait avec l’Assemblée générale actuelle. Cet organe pourrait représenter directement les parlementaires et les citoyens à l’échelle mondiale, renforçant ainsi la légitimité démocratique de l’organisation. 

Toutefois, cela pose des questions sur le risque de confusion institutionnelle, notamment dans un paysage déjà marqué par une prolifération d’organes satellites qui prétendent souvent et indument parler au nom de l'ONU. Cette multiplication rend d’autant plus urgente une simplification et une clarification des rôles des différentes entités.   

A l’issue du sommet de New York, les participants ont adopté le “Pacte pour l’avenir”, une déclaration sur les générations futures et un pacte numérique mondial annonçant avoir ainsi a posé les bases d’un renouveau du multilatéralisme avec l’adoption d’une déclaration sur les générations futures et un pacte numérique mondial.  Mais comme toujours, le succès du sommet dépendra de la mise en œuvre effective des engagements pris et de la participation inclusive de tous les acteurs concernés. 

Le fait que l’Assemblée Générale des Nations Unies n’ait pas réussi à définir des modalités claires pour réviser la composition et le fonctionnement des structures multilatérales, comme le Conseil de sécurité, reflète une tension profonde dans le système multilatéral. Cela peut en effet être perçu comme un échec face à l’émergence d’autres acteurs qui demandent une reconnaissance accrue dans les instances internationales.

Le groupe des BRICS 

L’échec du Sommet souligne les limites du système multilatéral actuel et pourrait bien constituer un tournant dans l’affirmation des BRICS comme acteur clé en devenir du nouvel ordre mondial. Ce groupe, fort de son expansion et de ses ressources économiques, pourrait-il déboucher sur un multilatéralisme alternatif, plus aligné sur les aspirations du Sud global et plus en phase avec les dynamiques multipolaires émergentes ? 

Le refus ou l’incapacité de réformer les institutions multilatérales renforce en tous cas l’idée que celles-ci seraient obsolètes. C’est ce qui a incité le Groupe des BRICS, présidé par Lula de Silva, à développer ses propres systèmes parallèles (nouvelle banque de développement -NDB- avec adoption d’une système Swift alternatif, etc…) . S‘il, constitue d’abord un forum de coopération économique, le Groupe des BRICS pourrait bien capitaliser sur cette frustration en se positionnant comme une alternative crédible à l’ordre multilatéral actuel. Son expansion avec l’ajout de nouveaux membres marque une volonté claire de peser davantage sur la scène internationale. 

Le dernier sommet s'est tenu du 22 au 24 octobre suivant  à Kazan, en Russie avec la participation de nombreux chefs d’Etats et celle, remarquée du Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, particulièrement soucieux d’éviter une fragmentation des Nations Unies. 

Le fait que cette réunion ait été organisée, à l’initiative de Vladimir Poutine, dans la ville capitale du Tatarstan, une région de Russie majoritairement peuplée par la minorité tatare, musulmane, est évidement porteuse de sens et pas seulement au Moyen Orient. Antonio Guterres ne pouvait manquer d’y lancer un appel à la paix à Gaza, au Liban, en Ukraine et au Soudan symbolisant ainsi le renforcement de la présence des BRICS sur la scène diplomatique conjointement avec les Nations Unies ?  

Le statut d'état membre est actuellement accordé à 9 pays qui ont parfois des intérêts divergents, tels que la Chine et l'Inde, mais pas plus qu’au sein de l’ONU et peut-être même du G20. Le modèle des BRICS a été rejoint en 2024 par 4 nouveaux pays et devient de plus en plus attractif puisqu'il y a cette année une trentaine de demandes d'adhésion, telle que l'Arabie Saoudite (non encore confirmée) et la Turquie qui est pourtant aussi membre de l’OTAN. Même le président français Emmanuel Macron avait souhaité, sans succès, être invité à Kazan comme observateur, démontrant le constat imparable de la montée en puissance du Groupe…

Le Bal des empires ? 

Pour autant peut-on parler de l’émergence d’un nouveau mutilatéralisme ?  Certains analystes, comme le géopoliticien français Jacques SOPPELSA, vont jmême usqu’à estimer qu’il s’agirait, en réalité, de l’émergence d’un monde multipolaire dominé, et même copiloté, par les grandes Puissances:  Etats-Unis, Chine, Russie, Inde, et même Turquie. L’Union européenne, de plus en plus alignée - voire dépendante ? - sur les positions de l'OTAN et des Etats Unis, ne pèserait plus autant, sauf réveil surprise et …espéré. 

Dans ce contexte de déclin de l'ordre unipolaire post-guerre froide, chacune de ces grandes Puissances ne rechercherait donc, plus ou moins cyniquement, qu’à renforcer son influence, au sein des Nations Unies comme dans le cadre des BRICS.  

Ce pourrait être alors, toujours selon l'expression de l’ancien président de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, le retour du …  « Bal des empires » ?

Pierrick Hamon, pour LAB Politiche e culture , 7 janvier 2025

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