Reine Benao Sakande était, avant la dissolution, Députée à l'Assemblée Nationale du Burkina Faso et au Parlement de la CEDEAO, et élue de Ziro. Haut fonctionnaire, elle a été directrice de la coopération décentralisée auprès du ministre des Collectivités locales et auparavant chargée de mission au ministère en charge des Relations avec le Parlement et des Réformes politiques. Elle était première adjointe au maire de l’arrondissement de Sig-Noghin à Ouagadougou par ailleurs secrétaire permanente du Conseil national de lutte contre la pratique de l'excision du Burkina-Faso.
- Madame Benao Sakande, le Burkina Faso vit une situation politico sécuritaire des plus difficiles, et même dramatique, de son histoire moderne, et cela dans un contexte international de plus en plus « brouillé ». Comment voyez-vous l’avenir ?
- Merci pour cette opportunité que vous m’offrez de parler de notre projet commun I-dialogos. Dans mon pays, le Burkina Faso, les premières attaques terroristes se sont produites en août 2015. Elles se sont aggravées á partir de 2016 avec l’accession de Roch Marc Christian KABORE au pouvoir á la suite d’une élection présidentielle ouverte, démocratique et transparente qui a marqué la fin de la transition.
En 2014, une insurrection populaire a chassé Blaise COMPAORE qui était resté au pouvoir pendant 27 ans, après son coup d’Etat contre Thomas SANKARA le 15 0ctobre 1987.
Dès son arrivée au pouvoir et á peine installé, Roch KABORE a été accueilli par un attentat meurtrier le 16 janvier á Ouagadougou ; s’en suivront d’autres. Depuis lors, les attaques se sont multipliées á travers plusieurs régions du pays (10 régions sur 13) faisant 1 719 332 déplacés internes, 4258 écoles fermées, dont 708 341 élèves qui en ont été affectés, au 30 septembre 2022.
A l’instar du Burkina Faso, d’autres pays de la sous région sont désormais dans la même situation. C’est le cas du Nigeria, du Tchad, du Mali, du Niger, etc.
Le contexte international reste caractérisé par une crise structurelle et par une crise conjoncturelle laquelle est la conséquence de la crise structurelle. La crise structurelle oppose le camp de l’Occident regroupé dans l’OTAN avec pour tête de prou les USA et l’ancien bloc de l’Est avec á sa tête la Russie. Cette crise structurelle est actuellement aggravée par la crise ukrainienne.
Avec ces deux crises, il existe plusieurs enjeux qui ont des impacts importants sur les relations internationales. On assiste á une situation comparable á celle de la guerre froide après la 2é guerre mondiale et chacun des deux blocs veut étendre son hégémonie tout en tentant de réduire celle du bloc opposé.
Cette configuration des relations internationales engendre des conséquences pour tous les Etats du monde et particulièrement les pays africains, du fait du poids stratégique du continent. L’avenir du Burkina Faso et des autres pays africains se pose á la fois sur le front de la sécurité et sur la configuration nouvelle des relations internationales.
Du reste, ces deux questions sont liées. En effet, la crise sécuritaire au Sahel engage la responsabilité des puissances extérieures qui l’ont, de fait, favorisé - cas de l’Azawad - ou l’ont accéléré avec l’invasion de la Lybie et l'assassinat de Mouammar Kadhafi, avec ses nombreuses conséquences.
Pour lutter contre le terrorisme, les Etats africains ont besoin d’alliance. On constate á ce niveau qu’il existe des rivalités entre l’Occident et la Russie. Le constat qu’on peut cependant faire, est que pour le moment aucun des deux blocs n’a pu apporter la preuve de l’efficacité de son intervention (ex : Centrafrique, Mali, Niger Burkina etc.). Cette situation amène les Etats africains, et plus particulièrement le Burkina Faso, á considérer ses alliances comme devant répondre á des besoins de diversification tout en mettant l’accent sur le principe du « compter sur soi-même ».
- Vous êtes l’une des initiatrices du projet de think tank international I-Dialogos lancé à Paris ce 14 novembre. Quelles sont les raisons de votre engagement dans cette initiative centrée sur le besoin de dialogue, y compris et surtout, international ?
- La planète est devenue un village planétaire du fait des moyens de communication moderne (télévision, radio, etc.) et de la communication instantanée (internet). Ceci devait contribuer à unifier d’avantage les peuples en vue de faire avancer le monde et de le rendre meilleur ; mais le constat est plus qu’alarmant : les peuples, que ce soit au plan national ou international, communiquent entre eux mais ne dialoguent pas. C’est ce qui explique en partie les différents maux qui minent nos sociétés.
L’insuffisance de dialogue entre populations d’un même pays, entre populations du sud, entre celles du sud et du nord, et de façon globale, á l’international, m’a convaincue á m’engager dans cette initiative. Cette conviction partagée par les membres du comité de pilotage, nous permettra d’apporter notre contribution á l’édification d’un monde meilleur et plus juste.
- Ce constat d’une insuffisance de dialogue et, donc, d'écoute, n’est-il pas, comme le soulignait le président Senghor - qui inspire les orientations de I-Dialogos - le principal, problème géopolitique ?
- Ce constat qui a inspiré les orientations d’I-Dialogos devrait nous permettre de renforcer les liens et de favoriser des relations plus sociales entre le sud et le nord.
Chez moi un adage dit que « lorsque deux sourds sont loin l’un de l’autre, ils se lapident. Mais quand ils sont côte á côte, ils se parlent pour se comprendre » ; et cela tout simplement pour dire que le manque de dialogue crée toujours des problèmes.
- Quelles seraient vous recommandations prioritaires pour la Rencontre constitutive du 14 novembre au Palais Bourbon, à Paris ?
- Mes recommandations se résument comme suit :
- Les Medias, la presse, au nord comme au sud, qui sont aussi en crise, n’ont-ils pas un rôle à réinventer, à prendre conscience de l’importance essentielle de leur fonction ? Ce sera le thème principal de cette initiative I-Dialogos. La participation de journalistes africains, et même burkinabés, est annoncée. La réunion constitutive de ce 14 novembre est d’ailleurs coprésidée par l’ancienne directrice de la communication et de l’Information de l’Union Africaine. Qu’en pensez-vous ?
- Les médias et la presse, partout dans le monde, surtout dans les pays dits libres, jouent un rôle essentiel. Ils ont un pouvoir qui est plus important que leur responsabilité, et ils en sont conscients.
La communication est une arme puissante que les médias devraient manier avec beaucoup plus de prudence, plus de dextérité. Elle peut être mise au service de toutes les causes comme celle de la question sécuritaire.
Concernant la question sécuritaire, on constate que les medias et les réseaux sociaux jouent un rôle controversé. Ils sont accusés de part et d’autre, d’être au service de l’ennemi ou d’allumer le feu quelques fois là où il ne faut pas.
Tout dernièrement au Burkina, RFI a relayé une information de «Jeune Afrique» sur les Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP). Les autorités burkinabés et une partie de l’opinion publique ont déploré cette publicité qui a été considérée comme une volonté d’opposer des groupes ethniques burkinabés, les contre les autres. Chacun de nous garde un mauvais souvenir de la radio « les 1000 collines » qui a favorisé le massacre des Tutsi au Rwanda. Ils peuvent inciter à la haine, la diabolisation et la déshumanisation de l’autre. Je pense donc que c’est une bonne chose d’associer les journalistes africains á cette initiative.