Né en 1985 en Pologne, Jan Nowak est poète, traducteur, éditeur et professeur de français langue étrangère. Il a notamment développé une méthode d’enseignement qui passe par le théâtre contemporain francophone et est à l’origine de plusieurs projets littéraires aussi bien en français qu’en polonais. En 2013, il a fondé la première maison d’édition théâtrale en Pologne, Dramedition, Centre international de théâtre francophone dont il est le directeur. Il a traduit de nombreuses pièces de théâtre et organise régulièrement des résidences d’écriture, festivals de théâtres et événements littéraires. Jan Nowak vit entre la Pologne et la France, entre Poznan et Hérisson, une charmante commune rurale du département de l'Allier.
Propos recueillis par Jean-Claude MAIRAL
Jean Claude Mairal pour I-dialogos : Jan Nowak, vous êtes traducteur, éditeur, agent littéraire, agent théâtral d'Eric-Emmanuel Schmitt en Pologne, porteur de projets francophones, fondateur du projet 10/10, pièces francophones à jouer et à lire. Cela fait 20 ans que vous initiez le montage de projets francophones ! Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ? Pourquoi cet engouement pour la Francophonie ?
Jan Nowak : J’aime répéter partout qu’apprendre le français était la seule bonne décision que j’ai prise dans ma vie. Je rigole bien sûr, mais il y a un grain de vérité. J’ai été destiné à devenir menuisier comme mon père. Mais il est mort quand j’avais 15 ans. Un peu trop tôt pour que je puisse reprendre son atelier. Donc il fallait que je trouve une autre voie de vie. Le français est venu par hasard et il est resté avec moi.
J’ai commencé à l’apprendre à l’âge de 15 ans, donc assez tardivement. Mais comme je venais d’un tout petit village j’avais peu de perspectives, peu de possibilités. Apprendre une langue aussi internationale donnait beaucoup de possibilités, augmentait des chances de faire de belles choses. Donc pour être très sérieux, j’ai construit toute ma vie sur cette langue. C’est peut-être pour cela que j’ai fait autant de projets pour cette langue, en guise de remerciements à ce qu’elle m’avait offert.
I-Dialogos : En France dans certains milieux, quand on parle de Francophonie, on pense surtout à l’Afrique et aux pays qui ont un passé colonial avec notre pays. Ce n’est pas le cas de la Pologne. Et même si des liens forts, liés à l’Histoire, existent entre nos deux pays, il est surprenant et réjouissant en même temps, d’assister avec votre parcours, à une valorisation aussi forte et aussi passionnée de la Francophonie.
Jan Nowak : En Pologne on ne sait pas ce que c’est la Francophonie. Ce terme n’existe pas dans une conscience générale. Par contre, il existe chez des individus. Et là, à l’échelle d’une personne, d’un individu, la francophonie peut devenir un engagement fort, presque vital. Bien sûr nous savons bien que la Pologne et la France ont eu des rares histoires communes où il n’y avait jamais eu de guerres entre nos deux pays. On était toujours amis. Mais cela ne fait pas l’affaire. Ił faut des passionnés. Mais on ne devient pas passionné sur du vide.
La langue française et la francophonie c’est quelque chose de très solide, très palpable… Savoir que dans la moitié du monde existe des francophones comme moi, qui sont mes interlocuteurs privilégiés, c’est comme une invitation très concrète à y aller sans hésitation. Chaque pays a des personnes qui ont le même parcours que moi et c’est génial ! C’est un potentiel énorme. Il faudrait juste que les instances de la francophonie voient ça plus clairement.
https://www.fle.fr/IMG/pdf/francophoniedesterritoires_benjaminbouttin.pdf
Jean Claude Mairal : En fait ne doit-on pas, selon les espaces géographiques et les cultures, les spiritualités et l’Histoire propre à chacun d’eux, avoir une vision et une conception de la francophonie et de la langue française, différentes, selon que l’on se trouve en Afrique de l’Ouest victime de la colonisation française, au Moyen Orient, en Asie, en Europe ou aux Amériques ?
Jan Nowak : Absolument pas ! Pour moi la francophonie était toujours présente comme une idée d’avenir. Et pour moi, l’avenir commence dans le présent, pas dans le passé. Si on s’attache trop au passé, déjà en arrivant au niveau de présent on est fatigué et démotivé. Et comment chercher de l’énergie pour l’avenir ? On n’oublie pas le passé, bien sûr que non, on ne nie pas le passé, en aucun cas, mais s’il faut cultiver quelque chose c’est le présent et l’avenir.
Et je suis très bien placé pour en parler car on m’a gavé dès ma naissance avec la haine des allemands et des russes… Nos occupants depuis des siècles. Sauf que je n’ai jamais connus ces occupants. Pourquoi dois-je me réveiller chaque jour avec l’idée qu’ils existaient ? Je préfère me réveiller avec l’idée que dans l’avenir avec mes amis allemands et russes nous allons faire des choses magnifiques.
Jean Claude Mairal : J’ose la question : existe-t-il une ou des francophonies européennes ?
Jan Nowak : Je pense qu’il y a une seule francophonie qui a une telle capacité d’absorption qu’on n’a pas besoin d’en distinguer plusieurs. Par contre j’étais toujours d’avis qu’il existait plusieurs langues françaises. Et je ne parle pas uniquement de la langue française de France, Suisse ou Belgique… Je parle de la langue française de chaque personne qui la parle. Je parle de la langue française de chaque accent, de chaque façon de l’utiliser, de chaque pensée représentée.
Par exemple, pour dire en Pologne qu’une personne chante faux tu dis : L’éléphant lui a marché sur l’oreille. Cela ne veut rien dire pour un francophone de naissance, et pourtant cela veut dire beaucoup pour un polonais francophone ! Chaque personne peut enrichir la langue et la francophonie que nous partageons tous.
Jean Claude Mairal : Alain Mabanckou écrit : « La littérature francophone est un grand ensemble dont les tentacules enlacent plusieurs continents... La littérature française, elle, nous l’oublions trop, est une littérature nationale. C’est à elle d’entrer dans ce grand ensemble francophone. ». Ces propos sont un véritable changement de paradigme, alors que pendant longtemps, la littérature française apparaissait un peu comme le phare de la Francophonie.
Jan Nowak : Je ne sais pas. C’est un avis polémique qui n’apporte rien à la francophone. En plus, la polémique que cet avis peut déclencher ne fera pas avancer le monde. Donc à quoi bon perdre de l’énergie pour arriver à une seule constatation : il y aura toujours ceux qui sont pour et ce qui sont contre. De point de vue de lecteur, qui aime lire en français, je m’en fous complètement de ce type de constatations. Je veux lire et être émerveillé, touché, poussé à une réflexion. Mais pas à une polémique chronophage et interminable.
I-Dialogos: On peut aussi citer Tahar Ben Jelloun pour qui « La francophonie est une maison pas comme les autres, il y a plus de locataires que de propriétaires », qui par ses propos, exprime une conception universaliste de la Francophonie et pas seulement inféodée à la France.
Jan Nowak : C’est une belle phrase que je partage et je n’ai rien à ajouter. Je vais la mémoriser et m’en rappeler.
I-Dialogos : En fait est-ce que la francophonie ne serait pas une autre voie pour accéder au Monde, dans le droit fil de ce qu’exprime Gilles Vigneault pour qui « La francophonie, c’est un vaste pays, sans frontières. C’est celui de la langue française. C’est le pays de l’intérieur. C’est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de vous. »
Jan Nowak : Absolument d’accord ! Je parcours ce pays dans toute sa diversité depuis 20 ans ! J’essaye aussi de l’enrichir avec mes projets, mes idées… Je suis son citoyen de plein droit et langue française, ma langue française en est ma carte d’identité.
I-Dialogos: Lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, le président de la République française, Emmanuel Macron, a notamment déclaré :
« Un Français peut parfaitement se réclamer de plusieurs appartenances linguistiques. Chacun a le droit de connaître, parler et transmettre sa ou ses langues, et c’est un droit non négociable. Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité. C’est pourquoi je veux que nos langues régionales soient encore mieux enseignées et préservées, qu’elles trouvent leur place dans l’espace public, en un juste équilibre entre leur rôle d’ancrage de langue régionale et le rôle essentiel de cohésion de la langue nationale. »
« Chez tout être humain, écrit Amin Maalouf, existe ce besoin d’une langue identitaire. Chacun de nous a besoin de ce lien puissant et rassurant. Mais il faut entendre dans ce mot d’identité, surtout chez vous, non pas une identité contre, une identité meurtrière, mais une identité avec, qui ajoute, qui grandit, qui multiplie. Et là est précisément la force du français. Nous avons besoin de toutes ces langues, et d’une langue qui soit la même de Lille à Nouméa, de Marseille à Pointe-à-Pitre, pour nous sentir appartenir à la même entité nationale en nos différences. »
Le Président de la République s’adressait aux Français, mais ces propos pouvaient pleinement correspondre à beaucoup d’autres pays.
Jan Nowak : Absolument ! Même en Pologne nous pouvons distinguer plusieurs langues et dialectes. Je trouve génial que chacun revendique sa langue maternelle, mais à condition que cette revendication l’enrichit et l’ouvre à l’extérieur, aux autres. Mais je trouve aussi génial le fait qu’une autre langue peut faciliter cette ouverture. Si je m’étais limité uniquement à la langue polonaise, je n’aurais jamais pu aller dans 76 pays que j’ai découverts, grâce au français.
J’ai une histoire qui m’a beaucoup marquée par rapport à la langue française. Un ami guinéen (Conakry) m’a dit : « la colonisation nous a laissé une chose positive : la langue qui nous permet d’aller vers le monde et de nous comprendre à l’intérieur de notre pays ». Il ne justifie pas l’horreur de la colonisation. Il montre tout simplement que le passé ne changera pas, mais qu’il a un outil de changement du présent et de l’avenir. C’est beau.
https://www.mairie-herisson.fr
I-Dialogos: Le réseau international des maisons des francophonies, dont je suis membre, parle des francophonies et pas seulement de Francophonie, car pour lui, dans les pays et les territoires francophones et francophiles, d’autres langues existent notamment le créole, pour parler des Caraïbes et de la Réunion dans l’Océan Indien. Ne doit-on pas penser la Francophonie et le rayonnement de la langue française, non de manière dominante, mais comme le lien entre populations, tout en respectant et valorisant les différentes langues présentes dans les territoires, y compris en France?
Jan Nowak : Je suis professeur de français. C’est ma formation initiale. J’ai créé ma propre méthode d’enseignement de français à travers le théâtre. J’ai formé des milliers de professeurs à travers le monde et je peux dire une chose avec une sûreté : la langue étrangère n’existe pas sans la langue maternelle. La langue étrangère se construit à partir de la langue maternelle, dialogue avec elle par la suite ! Il est essentiel d’inclure, dans le cadre de l’apprentissage de la langue étrangère, la présence constante de la langue maternelle. Il y a deux ans j’ai créé un programme qui s’appelle : la traduction théâtrale au service du plurilinguisme. C’est un programme qui prend en considération et met comme un point de départ pour la promotion de la langue française, ce dialogue avec la langue maternelle de l’apprenant.
I-Dialogos : La francophonie n’a-t-elle pas trop souvent, été confondue avec l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), organisation institutionnelle?
Le dernier Sommet de la Francophonie s'est déroulé en France. Que pouvait-on attendre de ce sommet? Que diriez-vous aux organisateurs français du sommet, concernant l'implication des citoyens et notamment des jeunes ?
Jan Nowak : Bien sûr que la confusion existe, mais ne nuit en aucun cas à la francophonie que nous vivons et faisons vivre au quotidien. Les instances de la Francophonie existent et existeront. Il en faut. Elles viennent en appui avec la ferveur des francophones comme moi et les autres. C’est super. À nouveau, dans la vie on peut critiquer tout et dans chaque action on trouvera une petite bête. Mais à quoi bon dépenser notre énergie pour ça. Le sommet ? Je n’en attendais rien. J’ai trop de choses à faire pour attendre (rire).
I-Dialogos : Alors qu’en Pologne, vous avez promu la Francophonie, que pensez-vous des propos de Yves Bigot, président de la fondation des Alliances françaises qui écrit, dans un hors-série de L’Eléphant,
« La France est le seul pays qui ne s’intéresse pas à la francophonie », ce qui fait que les Français « ne mesurent pas combien la Francophonie et la langue française sont notre force. »
Pour lui, et nous y adhérons complètement, « La conscience de la force de la francophonie est notre avenir. »
Et il ajoute : « Pour la nouvelle génération, la Francophonie représente un avenir culturel et géopolitique, et un futur économique crucial. » Comment faire que les citoyens, les collectivités, les associations et les entreprises françaises s’emparent et fassent leur, la Francophonie?
Jan Nowak : On ne peut rien faire à l’échelle du pays. Elle est trop grande cette échelle pour pouvoir y apporter des changements de ce type. Sinon à quel prix ?
Il faut des générations pour changer la conscience à l’échelle d’un pays. Cela ne vaut pas la peine. Il y a en France de parfaits francophones qui s’investissent dans la francophonie, dans la pensée francophone, dans des actions concrètes. Essayons de faire des choses à une petite échelle et de réussir que de se cogner contre un mur infranchissable.
I-Dialogos : N’est-ce pas votre souhait en implantant à Hérisson, petite commune rurale de l’Allier, le « centre d'émerveillement francophone »? C’est là, un pari un peu fou, un fabuleux défi que vous lancez, loin de Paris et des grandes métropoles ! C’est enthousiasmant et va conforter notre département, avec ses nombreux acteurs dans ce domaine, dont le Cavilam-Alliance française, dans sa volonté de développer et de promouvoir la Francophonie
Jan Nowak : Oui ! Le centre d’émerveillement francophone a trouvé finalement sa place sur cette terre et oui, ce sera dans ce petit village qui s’appelle Hérisson. Déjà le nom du village est émerveillant ! Tout à l’heure j’ai parlé de l’échelle… S’implanter à Paris c’est de se noyer dans une mer d’émerveillement d’une capitale historique. De grandes villes offrent un vertige et pas forcément francophone. Surtout Paris où le quotidien n’existe pas vraiment. Tout est trop. Ce trop est génial pendant un laps de temps, mais pas au quotidien.
Hérisson offre un très joli cadre où la culture, l’art, la langue, la cuisine baignent dans un quotidien tranquille et propice à l’émerveillement durable. C’est un village qui est animé, mais la participation à cette animation c’est la décision personnelle. Tu peux aussi bien la vivre, que l’éviter. C’est ça la liberté. Comme libre doit être le choix de devenir francophone et de développer sa vie dans un esprit francophone.
Dans le cadre du Centre d’émerveillement francophone, nous allons essayer de donner à la jeunesse du monde entier du temps pour s’émerveiller et pour comprendre tout ce que la francophonie peut offrir. Tout en restant dans cette sensation de la vie „normale” car même si la francophonie permet de traverser les frontières et parcourir le monde l’être humain a besoin de sentir que la vie est „normale”. On va essayer de donner cette dimension à ce projet qui nous tient à coeur.
I-Dialogos : vous souhaitez aussi accueillir d'autres initiatives s’adressant en particulier aux jeunes : - Le centre de traduction théâtrale - La maison du projet 10 sur 10 (pour les professeurs de FLE) - La bibliothèque de Goncourt (avec coopération avec l'Académie Goncourt) - La maison de la lecture Pouvez-vous nous les présenter?
Jan Nowak : Oui ! Cela peut paraître trop. Mais toute ma vie ce sont des projets. Raconté en une phrase tout peut paraître incroyable, mais étendu sur les 20 ans d’une vie active cela impression moins, voire pas du tout. Tous ces projets font partie de mes souhaits. Est-ce que tous verront le jour ? Je ne sais pas. Heureusement, moi et mes collaborateurs, nous avons du temps, de l’énergie et de l’expérience. Et des partenaires qui veulent nous accompagner. Donc il y a des chances que tout ça se réalisera !
Le centre de traduction théâtrale accueillera des traducteurs qui veulent faire connaitre la nouvelle dramaturgie francophone à ceux qui ne parlent pas le français. La maison du 10 sur 10 accueillera les professeurs de français du monde entier qui veulent apprendre à intégrer le théâtre francophone dans leurs cours de FLE. La bibliothèque de Goncourt reste encore un projet assez confidentiel, donc je vais vous en dire plus au moment venu. Pour ce qui est de la Maison de la lecture, je voudrais pouvoir offrir à tous ceux qui aiment lire un cadre unique pour s’évader de leur quotidien uniquement pour lire et savourer ce moment spécial.
I-Dialogos : Pour conclure, quel message laisseriez-vous aux membres de I-Dialogos et à nos lecteurs et lectrices concernant l’avenir de la Francophonie ?
Jan Nowak : L’avenir de la francophonie est en vous ! Prenez soin de vous et de vos rêves et la francophonie se portera bien !