En Inde, priorité à la lutte  contre le changement climatique. Augustin Brutus JAYKUMAR.

A PONDICHERY, Augustin Jaykumar BRUTUS est le fondateur du binôme d’ONGs, Adecom Network et “Réseau Adecom” en France. Fondateur de la société financière de micro crédit la BRWD en Inde. Fondateur du binôme d’ONGs “INDP” en Inde” et de “INDPenFrance”. Augustin, Correspondant I-Dialogos en Inde, à Pondichery, est par ailleurs membre du Groupe International de Coordination de l’AIEP-IAEP, ONG reconnue par l’Unesco et du FERAM. INDP -Intercultural Network for Development and Peace- propose sa propre approche du “développement holistique” qui intègre la pluralité des besoins des humains.

DES DROITS CONSTITUTIONNELS AUX APPLICATIONS LOCALES  POUR LUTTER CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE EN INDE. 

L’Inde, qui est l’une des économies à la croissance plus élevée, a réduit les émissions de gaz à effet de serre de 33 % à 35 % par rapport au niveau de 2005, et porté à 40% d’içi à 2030 et même bien avant, la place de  l’énergie électrique produite à partir de sources de combustibles non fossiles. Mais l’Inde reste très vulnérable au changement climatique. Plus de 80% de sa population vit dans des zones aux risques de catastrophes climatiques. La hausse des températures et les bouleversements naturels se traduisent par des crises majeures qui affectent les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire. Les populations touchées par les inégalités socio-économiques existantes en souffrent encore plus. 

IMPACTS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE DU POINT DE VUE DES DROITS 

La Cour suprême indienne a statué sur le fait : que les citoyens ont le droit d’être protégés des effets négatifs du changement climatique, au vu des articles de la Constitution indienne : article 14 (Égalité devant la loi et égalité de protection des lois) et article 21 (Droit à la vie et à la liberté personnelle). En s’appuyant sur ces droits, il est donc permis d’examiner les impacts du changement climatique qui affectent les droits à la santé, à la vie, à la liberté et bien plus encore. En intégrant les impacts du changement climatique aux droits fondamentaux constitutionnels, la cour suprême ouvre la voie à la responsabilité juridique de l’état, face aux conséquences du changement climatique. En effet, il y a accélération de l’action climatique du côté de l’offre et de la demande : 

- du côté de la demande, en invoquant une approche plus fondée sur les droits pour l’action climatique, 
- du côté de l’offre, en encourageant des approches et des actions intégrées associant le gouvernement, le secteur privé et la société civile. 

=> Aussi le premier point de départ pourrait être l’adoption d’un règlement global sur le changement climatique qui ferait avancer l’approche politique de l’action climatique en Inde, définie dans les plans d’action au niveau national et au niveau de chacun des états. 

Une réglementation globale aurait avantage à renforcer les capacités de l’état en stimulant l’allocation des fonds, la définition des fonctions et les responsabilités des fonctionnaires. Une loi-cadre pourrait contribuer à renforcer la gouvernance climatique en établissant des orientations et des processus institutionnels efficaces, en permettant une action climatique plus ambitieuse, en prévoyant une responsabilisation plus stricte et en favorisant le partage de connaissances et d’idées.

=> Le second point concerne les Objectifs de Développement Durable (ODD) et du modèle de localisation. Au niveau des états, ces ODD ont été intégrés dans la planification grâce à des processus à plusieurs niveaux et avec plusieurs parties prenantes. Les États et les territoires pourraient s’approprier ce modèle en créant leurs propres feuilles de route et leurs systèmes de suivi des ODD. L’émulation entre les états régionaux et leurs différents territoires stimulerait l’innovation, accélèreraient les progrès et renforceraient les capacités pour assurer une mise en œuvre efficace. 

Le modèle pourrait également encourager une participation plus large des entreprises, des organisations non gouvernementales et des citoyens. Le modèle pourrait favoriser une approche plus efficace et plus collaborative pour atteindre les ODD. 

A l’avenir les approches interministérielles et intersectorielles intégreront le secteur privé afin d’impulser les droits à l’action climatique dans leurs opérations de base. Par exemple, les approches d’économie circulaire devront établir des chaînes d’approvisionnement conformes aux droits sociaux, y compris dans celles de la logistique, pour avoir un impact véritablement transformateur. 

Un dialogue entre des groupes de citoyens et des organisations de la société civile sur les droits de l’environnement, la biodiversité et l’action climatique pourrait déboucher sur un consensus afin de surmonter les tensions potentielles pour soutenir la politique d’action climatique.   

CRÉDITS VERTS

Le programme de crédit vert a été officiellement dévoilé en Octobre 2023. Ses objectifs tentent de mettre l’accent sur la durabilité, de réduire les déchets et d’améliorer l’environnement naturel. 
Le programme GCP (émanant de l’Etat Central), selon un document du ministère de l’Environnement, se présente comme "un mécanisme innovant, basé sur le marché" pour encourager les "actions volontaires" à la conservation de l’environnement. Dans ce cadre les particuliers, les organisations et les entreprises - publiques et privées - seraient encouragés à investir dans des secteurs allant du reboisement à la conservation de l’eau, en passant par la lutte contre la pollution atmosphérique, la gestion des déchets et la conservation des mangroves, pour en retour, recevoir des "crédits verts". 

Un organisme autonome du ministère : le Conseil indien de la recherche et de l’éducation forestières (ICFRE), administrerait et définirait les méthodologies pour le calcul et l’échange des crédits verts. 

D’une manière générale, les entreprises, les organisations et les particuliers pourraient se proposer de financer les projets de reboisement dans des zones spécifiques de forêts dégradées et de friches. Il est stipulé que la plantation d’arbres serait effectuée par les départements forestiers des états régionaux. Ainsi les départements forestiers de 13 états ont déja offert 387 parcelles de terres forestières dégradées, d’une superficie de près de 10983 hectares pour le reboisement. 

Mais le programme GCP a attisé la controverse pour trois raisons : 

• La première, du fait qu’elle a fait de l’action sur l’environnement une marchandise. Les lois indiennes sur la conservation des forêts, obligent toute industrie autorisée à raser des forêts pour des fins non forestières, à fournir une quantité équivalente de terres non forestières et des financements pour les reboiser aux autorités forestières. Le programme GCP indique que les entreprises, peuvent de cette façon moins contraignante " échanger " leurs crédits pour " se conformer à ce reboisement compensatoire ". Mais selon les critiques, cela pourrait être une manière d’assouplir les exigences en matière de détournement des forêts, pour les besoins des sociétés minières et de construction d’infrastructures. 
• La seconde, la plantation d’arbres ne stimule pas automatiquement les écosystèmes. 


L’Inde compte environ 200 types de forêts ; certaines sont faites de prairies, d’autres sont dominées par des arbustes. De plus des études ont montré que planter des espèces envahissantes pourrait infecter et faire disparaître les espèces locales et/ou empêcher un écosystème durable. Il existe de ce fait, la possibilité avec ces nouvelles zones de monoculture faites d’espèces envahissantes, qu’elles prennent le dessus, sur les terres non forestières à reboiser. 

• La troisième, le GCP indique également que les crédits verts qui entraînent le stockage du carbone (à partir des arbres) pourraient être utilisés pour le commerce du carbone. 

En attendant, les calculs de base pour établir les termes de ces activités commerciales ne sont pas clairs. Le gouvernement, par le biais du ministère de l’Environnement a réagi pour répondre à la controverse, en publiant les lignes directrices sur lesquelles les états régionaux doivent s’appuyer pour calculer le coût de la restauration d’un paysage forestier dégradé. 

Le ministère a modifié une exigence antérieure selon laquelle, il doit y avoir un minimum de 1100 arbres par hectare pour être considéré comme un paysage reboisé et a laissé aux états le soin de les spécifier. Il se trouve que: “ ce ne sont pas toutes les forêts dégradées qui peuvent supporter la densité de 1100 arbres par hectare. De plus dans certains endroits, les arbustes, les herbes et les graminées peuvent être appropriés pour restaurer l’écosystème: la préférence serait donc donnée aux espèces indigènes”. 

LA COUR SUPRÊME

La Cour suprême a affirmé dans le jugement que les forêts en Inde contribuent à la richesse financière du pays. "C’est l’esprit de la forêt qui fait bouger la terre. De plus l’épuisement et la disparition des forêts conduiraient à terme à une extinction massive des organismes” , a fait observer, le juge M. Sundresh, dans un arrêt fondé sur un appel interjeté par l’Etat du Telangana, contre une décision de la Haute Cour. 

Le juge M. Sundresh a fait observer : que les concepts de crédit- carbone et de comptabilité verte pour évaluer la richesse d’un pays étaient devenus une réalité. 

« Un pays avec un couvert forestier excédentaire, serait en mesure de vendre son crédit de carbone excédentaire, à celui qui est en déficit ». Le jugement indique que les forêts indiennes servent de puits de captation du dioxyde de carbone (CO2). Avec une valeur de 5 $ par tonne de CO2, on arrive à un montant de 120 milliards de dollars pour environ 24000 mt de CO2 captées dans les forêts. La cour a cité le rapport de 2009 du Ministère de l’Environnement et des Forêts intitulé “La forêt et le couvert forestier de l’Inde ” qui note qu’entre 1995 et 2005, le CO2 stocké dans les forêts est passé de 6 245 à 6 662 millions de tonnes. 

Le juge M. Sundresh, a souligné l’importance des forêts dans la lutte contre le changement climatique. Il a fait référence à un rapport 2022-2023 de la Banque de Réserve de l’Inde (RBI), sur l’impact macro-économique du changement climatique. Les perturbations pourraient coûter à l’économie 2,8 % de son PIB et faire baisser le niveau de vie de près de la moitié de sa population d’ici 2050, entraînant de graves pertes d’emplois dans tous les secteurs. 

RELATION CLIMAT - ALIMENTATION

Aujourd’hui, les systèmes alimentaires sont également responsables d’un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre. 

Le changement climatique affecte les chaînes de valeur alimentaire et les rendements agricoles, la qualité nutritionnelle, l’accès aux aliments et les processus énergétiques. 

L’Inde elle-même souffre de nombreuses formes de malnutrition : 32% des enfants de moins de cinq ans souffrent d’insuffisance pondérale et 74% de la population ne peut pas se permettre une alimentation saine. 

Les régimes alimentaires malsains entraînent une augmentation de la prévalence des maladies non transmissibles. Cependant, il est également vrai qu’au fil des ans, l’Inde a fait des progrès notables dans la compréhension de la durabilité et du contenu nutritionnel des régimes. Il est maintenant important pour l’Inde de réfléchir à la question de savoir si une alimentation saine peut participer au changement climatique. 

RÔLE ET CONTRIBUTION DES FEMMES

Les femmes sont particulièrement touchées de manière disproportionnée par le changement climatique et la mauvaise nutrition, bien qu’elles soient d’importantes parties prenantes du système alimentaire. 

Au Chhattisgarh, certaines communautés autochtones ont des systèmes alimentaires plus sexospécifiques. Ces systèmes reconnaissent les femmes comme des contributeurs égaux à la fois aux économies productives et reproductives. Ils prônent le respect des droits, la capacité d’accéder aux infrastructures et aux technologies et la répartition égale des responsabilités. 

Ces communautés de l’État du Chhattisgarh avec un système alimentaire plus sexospécifique, ont également été considérées comme plus résiliantes face aux chocs climatiques tels que les sécheresses. 

Lorsque les femmes regroupées dans des collectifs, participent à la prise de décisions concernant leurs moyens de subsistance, elles ont un meilleur accès aux actifs financiers, aux ressources naturelles et aux connaissances. Il n’est donc pas surprenant qu’elles soient plus productives et qu’elles aient de meilleurs résultats en matière de santé et de nutrition. 

Les femmes autochtones du Chhattisgarh, utilisent des méthodes traditionnelles pour la culture des millets qui nécessite beaucoup moins d’intrants que les cultures de paddy. Elles sont connues par le stockage des céréales, pour avoir établi des "réserves de famine". 

Ainsi la consommation régulière du millet a répondu au besoin de fer et amélioré la teneur en fer dans leur corps. Les aliments d’origine végétale proviennent principalement de leur milieu naturel environnant avec une intervention humaine minimale. 

Il est à noter qu’une alimentation plus riche en aliments d’origine végétale est également plus durable sur le plan environnemental qu’une alimentation essentiellement d’origine animale. La « Millet Mission Chhattisgarh », que le gouvernement de l’État a lancée en 2021 pour faire du Chhattisgarh le premier producteur indien de mil, a le potentiel pour répondre aux préoccupations nutritionnelles et environnementales de l’état .

L’influence des valeurs culturelles, des normes sociétales, des politiques publiques et des marchés sur la production et la consommation de ces céréales, mérite d’être prise en compte et intégrée au projet.   

APPRENDRE DE LA SAGESSE DES GARDIENS DE LA TERRE 

Les peuples indigènes détiennent des droits traditionnels sur Méroé et Menchal, des îlots dans l’étendue sud de l’archipel Andaman et Nicobar, au large des rives de Little Nicobar en Inde. 

Pendant des millénaires, ces indigènes historiquement isolés, ont compté sur ces îles comme réservoirs de ressources, pour leur subsistance, tout en les protégeant . Menchal vénéré, utilisé et protégé sous le royaume spirituel appelé Pingaeyak, interdit la surexploitation des ressources ou tout dommage indu à son écosystème. De même, Méroé serait la demeure d’une communauté insulaire légendaire. 

Ces systèmes de croyances spirituelles influencent la façon dont les insulaires utilisent et protègent les ressources naturelles. Meroë et Menchal sont gérés par les anciens de la communauté qui agissent en tant que gardiens. Ils assurent la protection des ressources et la durabilité des îlots . 

Environ 476 millions de peuples autochtones, constituent 6% de la population mondiale. Les territoires autochtones couvrent 22% de la planète et abritent 80% de sa biodiversité. 

Au lieu de les expulser de leurs terres ancestrales, souvent sous couvert de projets dits « de développement », d’intérêt national ou de projets de conservation, les gouvernements et les citoyens devraient soutenir et habiliter ces insulaires à continuer à gérer leurs territoires ancestraux. 

Les peuples autochtones ont été et sont encore les premiers gardiens de notre terre. Le monde doit apprendre de leur sagesse. 

DROITS DE LA TERRE MÈRE  

Chaque année depuis 2009, le 22 avril est commémoré comme la Journée internationale de la Terre Mère. L’idée de la Terre Mère est ancrée dans la culture et les traditions de l’Inde depuis des siècles, considérant la nature comme une entité vivante plutôt qu’une simple ressource. 

En 2022, la Haute Cour de Chennai au Tamil Nadu, lors de l’audition d’une affaire relative à la modification de la classification des terres forestières, a déclaré « Mère Nature, être vivant », lui accordant ainsi le statut de personne morale avec tous les droits, les devoirs et les responsabilités correspondants, afin de la préserver et de la conserver. 

En utilisant ces jugements et ces observations, pour rétablir le droit de la Terre-Mère à une bonne santé, l’Inde pourrait ce faisant, protéger le droit de ses citoyens à un avenir exempt des impacts du changement climatique. 

Augustin Brutus Jaykumar. 


Compilation, réécriture et traduction des articles : Preparing India for water stress, climate resilience, 22.04.2024, Arunabha Ghosh. Nitin Bassi / THE HINDU 22 04 24, The challenges of renewable energy, Sukanya Khar and Kaveri Iychettira / Healing land water and ourselves, Yuvan Aves / Sustaining our earth and nourishing our bodies, Neeraja Nitin Kudimotri / Empower the guardians of the earth, do not rob them, Ajay Saini, Manish Chandi / Preparing India for water stress, climate resilience, 28 04 24, A people’s Science Movement, Usha Ramanathan / A call for climate justice, Nirupam Hazra / 26 08 23, Clean tech for an inclusive green future in india , Abhishek Jain / 21 02 21, When nature speaks out, Uma Mahadevan-Dasgupta

Lire également => l'article précédent.