A PONDICHERY, Augustin Jaykumar BRUTUS est le fondateur du binôme d’ONGs, “Adecom Network” et “Réseau Adecom” en France. Fondateur de la société financière de micro crédit la BRWD en Inde. Fondateur du binôme d’ONGs “INDP” en Inde” et de “INDPenFrance”. Augustin, Correspondant I-Dialogos en Inde, à Pondichery, est par ailleurs membre du Groupe International de Coordination de l’AIEP-IAEP, ONG reconnue par l’Unesco et du FERAM. INDP -Intercultural Network for Development and Peace- propose sa propre approche du “développement holistique” qui intègre la pluralité des besoins des humains.
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Démocratie et citoyenneté en Inde comme ailleurs
« Une vie sans utiliser son talent est une vie gaspillée. Nul n'est obligé de réussir mais tout le monde doit essayer. Il ne faut pas en vouloir à soi-même d'échouer, il faut s'en vouloir seulement de ne pas avoir essayé. » (1)
Dans le courant du XXIème siècle, l'Inde sera le pays le plus peuplé au monde. Elle est déjà la plus grande démocratie, faisant de sa diversité de langues, de cultures, de religions et de systèmes économiques un atout pour peser sur le monde de demain. L'Inde est à un moment crucial de son évolution pour choisir la voie de son développement, en apprenant des échecs des uns comme de la réussite des autres.
Certains disent qu'en Inde, « l'élite est « indienne » par ses rites, ses mœurs, son folklore. Elle a été formée à l'occidentale, et de ce fait, elle n'est pas actrice d'un développement proprement indien, qui prendrait en compte les spécificités indiennes ». Pour d'autres, « ...quelques membres de cette élite ont, toutefois, suggéré des solutions « indiennes » : Ambedkar, Gandhi ou Tagore par exemple, qui ont insisté sur la nécessaire prise en compte de tous les citoyens de manière égale. Mais ils n'ont pas été suivis, ils ont été délaissés ou taxés de doux rêveurs ».
Pourtant, l'Inde possède le cadre constitutionnel ainsi que les ressources naturelles, financières et humaines pour réaliser son propre développement. L'Inde est détentrice d'un savoir-faire qui a fait ses preuves en rayonnant dans toute l'Asie. Mais celui-ci a été délaissé lorsque l'Inde est entrée dans le système libéral. A ce moment-là, l'Inde a perdu son « âme » et d'une certaine manière ses valeurs, celles-là même dont elle peut se vanter et qui attire tant de gens à la recherche de sens – ces valeurs, « cette spiritualité » dont elle n'a pas su, elle- même, profiter.
Les enjeux de la démocratie
« Démocratie » vient du latin democratia, terme emprunté au grec ancien, dêmokratía, composé de dêmos « bourgade, peuple » et krátos « corps politique », « gouvernement ». Etymologiquement, « démocratie » signifie donc « le pouvoir du peuple ». Ce sens premier fait référence au rôle occupé par les citoyens dans la société. Celui-ci ne consiste pas seulement en l'élection, de manière périodique, des représentants politiques ; il correspond aussi à une action permanente – des réunions, des grèves, des protestations, outils qui doivent permettre aux citoyens de faire part de leur humeur à leurs représentants et qui constituent également des moyens d'expression pour développer et approfondir le débat, et donc pour faire avancer les choses. Il semblerait que cette définition ait été dévoyée.
Dans la situation actuelle, le terme « démocratie » et tout ce qui s'en suit est réduit à la défense des biens personnels et particuliers. Le service public et l'Etat, sont détruits, cassés, vendus, et l'argent public peut même servir à payer les erreurs du privé - n'a-t-on pas assisté à cela pendant les cracks boursiers ? Quand la démocratie n'est pas appliquée dans toute sa dimension et qu'elle ne permet pas l'exercice des responsabilités et des pouvoirs – et ce à tous les niveaux et dans tous les domaines, au sein d'un parti comme d'une administration -, personne ne mène à bien sa mission et tout le monde fait monter le dossier à un niveau toujours plus haut, là où l'on saura peut-être comment le traiter.
Par exemple, le préfet renvoie l'affaire au ministre, qui lui-même ne voit d'autre issue que celle de la transmettre au chief minister. Par contre, chacun observe avec attention les gestes de tout le monde et retient les paroles prononcées, de manière à pouvoir critiquer et s'opposer. C'est là que se termine alors un cycle pour qu'un autre commence : on laisse le chief minister décider, puis on le critique, on s'engage dans le parti opposé à lui et on travaille à la séduction des électeurs, en mettant en œuvre la corruption.
Mais, tout d'abord, s'est-on seulement demandé si une personne, seule, pouvait diriger un pays, d'un point de vue humain autant que technique ? A mon sens, c'est impossible : toute personne a ses limites, personne n'est infaillible. Personne ne peut prendre des décisions seul. C'est pourtant sur cette unicité de la personne dirigeante que jouent les systèmes de dictature : les dirigeants essaient de s'adresser directement au peuple. Hitler avait par exemple encouragé les Allemands à se munir de radios. En Inde, les hommes politiques offrent des téléviseurs. Mais c'est là une technique très vicieuse, car le peuple ne possède pas les éléments nécessaires à l'analyse des techniques politiciennes.
C'est sur ce manque d'information et de recul que misent les dirigeants pour leur victoire plutôt que de chercher à remédier à ce mal. Il résulte de cette logique que le peuple, victime de cette stratégie, en vient lui-même à attendre les « messies », c'est-à-dire des chefs pour le diriger, des chefs sur qui il rejette ensuite toute responsabilité, des chefs qui, par conséquent, se permettent de faire tout ce qu'ils veulent.
En effet, lorsqu'un « messie » dirige, le peuple reste spectateur. Il ne fait que suivre et appuyer le messie, qui prend des décisions sans les justifier auprès d'un peuple qui demeure passif. Ce cercle vicieux peut toutefois entraîner une certaine frustration et un besoin de se « défouler » ; ce à quoi tentent de remédier des soupapes de sécurité tels que les films par exemple, espaces virtuels, dans lesquels on tolère la critique des dirigeants politiques – ce qui permet de les « immuniser » dans la vie réelle. Comme par le passé, les dirigeants politiques tiennent le peuple par «le pain et les jeux».
Autrefois, c'étaient par les jeux du cirque et le pain, aujourd'hui c'est par les téléviseurs et le riz. Toutes les méthodes sont bonnes pour faire sauter le verrou des valeurs qui étaient des garde-fous ! Nous devons être vigilants.
La démocratie est un exercice continu, dans lequel on se doit d'accepter le fait qu'il n'existe pas de recettes préétablies. Elle n'est jamais acquise, et le défi consiste en une attention régulière de la part de tous les citoyens, collectivement, de manière à être capable de toujours analyser, inventer, créer cette démocratie en cours d'élaboration permanente. Les formules qui ont pu fonctionner dans les temps passés ne sont plus valables : elles doivent être adaptées au contexte social, économique et politique, qui évolue constamment.
Dans la démocratie, ne doit-on pas faire le pari que tout le monde peut comprendre, et que les politiciens, les éducateurs, les enseignants, doivent faire comprendre le projet politique ?
C'est le défi, plutôt que de croire les gens incapables de comprendre, il faut que les responsables sachent expliquer sans simplifier à outrance ou modifier les explications et les faits. Prenons l'exemple du neem : cet arbre a des vertus médicinales reconnues par la science.
L'histoire nous montre que, sous prétexte que le peuple aurait des difficultés à comprendre ces explications scientifiques, on les a remplacées par des raccourcis religieux, faisant naître la peur. Cette peur,surlaquelle vont jouer ensuite les dirigeants pour gouverner en tout-puissants. Il est donc urgent de renforcer la capacité de compréhension, l'inhérente intelligence de chacun. La compréhension et la juste appréciation des choses avant la décision sont à la base de la démocratie.
Peuple et citoyens
Le terme « peuple » cité de manière péjorative fait référence à une foule qui peut tout faire basculer, qui peut mettre à mort, critiquer, se laisser porter par tous les vents et les tempêtes sans aucun ancrage. La différence fondamentale entre « peuple » et « citoyens » réside dans le fait que les citoyens,agissent en connaissance de cause.
Cela ne va pas de soi,car le système libéral isole les individus les uns des autres : si l'on a la télévision, on va moins au cinéma, si l'on a un ordinateur, on travaille chez soi. Mais lorsque les citoyens se regroupent et se mettent ensemble, ils forment le "peuple" et le terme peuple alors acquiert son caractère noble.
Les dirigeants veulent éviter que les citoyens communiquent, échangent des idées, de manière à parer aux rébellions, aux révoltes, lors desquelles les gens se regroupent, physiquement mais aussi sentimentalement, émotionnellement, ce qui les rend plus forts que lorsqu'ils sont isolés dans leur solitude. L'histoire montre que l'une des stratégies pour parer à ce regroupement du peuple consiste à couper ses racines et sa mémoire, à gommer son passé pour en réinventer un nouveau, quitte à élaborer un mélange entre histoire et légende, un passé qui corresponde mieux aux attentes et intérêts des dirigeants du présent. On peut mentionner, pour exemple, la réécriture de l'histoire de sites archéologiques.
Sans connaissance du passé, sans ancrage dans l'Histoire on ne peut aller de l'avant. Le peuple, dans l'actuel système libéral qui structure le monde, rêve d'être riche à la place des riches. Il ne parle pas d'égalité, il veut seulement une place haute et des richesses. L'injustice réside, selon lui, non pas dans le système lui-même mais seulement dans la ou les personnes qui possède(nt) tout. Souvent, il va œuvrer à combattre, voire à faire disparaître cette ou ces personne(s). Mais, en quoi cela est-il pertinent, si le système lui-même n'est pas remis en cause ? Quand on détruit, il faut aussi réfléchir à ce que l'on veut mettre à la place.
Refuser de subir le futur
Alors, comment faire pour que l'Homme, lorsqu'il cherche à rester le plus longtemps possible en vie, avec le plus de moyens matériels possibles, ne détruise pas l'Homme en entraînant la violence et la guerre ?
Comment faire pour empêcher l'Homme de se soumettre à ses instincts animaux, ceux-là mêmes qui sont siens lorsqu'il n'est pas éduqué ?
La seule manière de l'arrêter, c'est de faire en sorte qu'il soit relié à d'autres hommes par un contrat moral, par un rêve, un projet. Seulement, alors, l'Homme peut oublier sa tendance à tuer, à dominer, à prendre la place de l'autre.
Les regroupements entre individus sont nécessaires pour chercher, expérimenter, comprendre par eux-mêmes le fonctionnement des choses. C'est la seule voie qui puisse faire évoluer l'humanité.
L'indipensable dialogue
Cette notion de regroupement est indissociable de celle de l'exercice au dialogue, au débat : c'est quelque chose que les citoyens doivent faire au quotidien, s'entraîner à discuter, à argumenter pour s'en servir dans les situations difficiles, de conflits et ou de crise.
La richesse d'une nation ne peut se résumer à ses richesses naturelles ; elle est avant tout riche de la force de ses citoyens, de leur indépendance à penser, analyser et critiquer les situations auxquelles ils sont confrontés.
La démocratie sert à former ces citoyens.
Augustin Brutus Jaykumar
remerciements à P. Le Gorrec, H. Briche, C. Mongin