Afrique : la nouvelle radioscopie de la Fondation Mo Ibrahim. Serge Mathias TOMONDJI

Journaliste et éditorialiste béninois, notre ami Serge Mathias TOMONDJI est installé au Burkina Faso depuis 1993, où il a assumé différentes fonctions et responsabilités dans plusieurs organes de presse écrite et en ligne. Il a également présenté plusieurs émissions à la radio, avant de poursuivre, depuis 2017, son aventure professionnelle à la télévision, comme éditorialiste et comme animateur de débats sur des sujets variés, concernant notamment l'actualité et les mutations sociopolitiques du continent africain, ainsi que sur la culture, la société, les idées.

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La Fondation Mo Ibrahim vient à nouveau au secours des idées et des dynamiques pour une meilleure gouvernance en Afrique. Publié le 19 juin dernier, son rapport 2024 analyse les « besoins financiers nécessaires pour atteindre les objectifs de développement et les objectifs climatiques » du continent. Intitulé « Les besoins financiers de l’Afrique : où sont les ressources ? », ce rapport met aussi en exergue « les ressources actuellement disponibles » dans ce domaine. 

Pour la Fondation en effet, ces ressources existent, « mais ne sont pas mises en œuvre ou à profit de façon adéquate ». Et pour Mo Ibrahim, « il ne s’agit ni pour l’Afrique de tendre encore la sébile, ni pour ses partenaires de considérer quel montant supplémentaire ils pourraient encore mettre sur la table ». Non, il est urgent, martèle le fondateur et président de ce forum qui porte son nom, de… « changer radicalement de paradigme » ! Changer de paradigme ! Il y a longtemps que ce diagnostic est posé sur le continent, sans que les actions contribuent à éprouver la thérapie. Ici encore, et aujourd’hui plus qu’hier, des experts se sont penchés sur le mal africain de ces dernières années et ont prescrit leur ordonnance. Il faut ainsi, indique notamment Mo Ibrahim pour accompagner le rapport 2024 de sa fondation, « réformer drastiquement le système de financement international, actualiser les mécanismes de restructuration de la dette, les modèles d’évaluation du risque africain, ainsi que les conditionnalités de l’aide ».  

État des lieux  

Mais ce n’est pas tout ! La responsabilité première de la bonne gouvernance incombe — et c’est normal — aux Africains eux-mêmes, coupables de laxisme, de gestion scabreuse des ressources, de détournements divers… avec, bien souvent, la complicité de grands groupes étrangers. Il est donc indispensable, conseille encore Mo Ibrahim, que notre continent cesse de « dilapider ses propres actifs et mette en place les conditions de gouvernance de nature à garantir leur exploitation optimale au bénéfice d’un développement durable et équitable ». 

En faisant, chiffres à l’appui, un état des lieux qui démontre aisément que les objectifs sont loin d’être atteints pendant que les besoins sont vertigineux, le rapport 2024 de la Fondation Mo Ibrahim met aussi le doigt sur le pernicieux travers des apports financiers provenant des partenaires du continent. 

L’Aide publique au développement (APD), qui représente près de 10 % des ressources financières du continent, reste en effet concentrée, notamment de la part des bailleurs traditionnels, « sur la santé et l’éducation, et largement conditionnelle ». 

De toute évidence, ce rapport instruit à charge et à décharge sur la question de la gestion des ressources et offre une analyse de qualité sur les besoins financiers de l’Afrique. Mais surtout, il constitue un outil d’aide et de travail pour dénicher les ressources, ou plutôt mieux les orienter afin de mettre effectivement le continent sur les rails de la bonne gouvernance et du développement endogène. Mais pour la quatrième année consécutive, le forum qui encadre la publication du rapport de la Fondation Mo Ibrahim — Ibrahim Governance Weekend (IGW), qui a lieu chaque année dans un pays différent — ne s’est pas tenu comme prévu, du 26 au 28 avril 2024 à Lagos, au Nigeria. 

Les organisateurs évoquent des « difficultés administratives insurmontables », mais on peut aussi lire dans cette annulation, la conséquence des problèmes sociopolitiques récurrents dans une partie du continent depuis quelques années. 

Modèles exceptionnels… 

On attend ainsi le nouveau lauréat de ce prix, depuis sa dernière attribution, en 2020, à… Mahamadou Issoufou. Considéré notamment comme l’artisan de la première alternance pacifique dans son pays depuis 1960, et en raison de son action déterminante pour la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continental africaine (Zlecaf), l’ancien président nigérien a quitté le pouvoir avec les honneurs. 

Le Prix Mo Ibrahim pour le leadership et l’excellence en Afrique reconnaît et célèbre en effet «les chefs d’État qui, dans des circonstances difficiles, ont développé leur pays et renforcé la démocratie et les droits de l’Homme pour le bien commun de leur peuple, ouvrant la voie à une prospérité durable et équitable ». 

Le prix, faut-il le rappeler, est accompagné d’une confortable récompense de « cinq millions de dollars sur dix ans, puis une rente annuelle de 200 000 dollars à vie ». De quoi faire des lauréats, des modèles exceptionnels pour l’Afrique afin que le continent continue de bénéficier de leur expérience et de leur sagesse une fois qu’ils ont quitté leurs fonctions nationales. 

Partant du bon principe selon lequel ces dirigeants pourront mener, du haut de leurs grandes expériences de la gestion de nos États, dans la dignité et à l’abri du besoin, des activités dans leur vie d’après la présidence, le prix Mo Ibrahim constitue un inestimable coup de fouet à la promotion de la bonne gouvernance sur le continent. Mais il faut croire que le cœur des chefs d’État africains bat ailleurs. 

Ah, ces passages à vide ! 

En effet, seulement six personnalités ont été récompensées de ce prix depuis son instauration en 2006, à l’exception du défunt président sud-africain Nelson Mandela, icône de la lutte contre l’apartheid, qui l’a reçu à titre honorifique, exceptionnel et hors catégorie en 2007. Cette année-là, le premier lauréat du Prix Mo Ibrahim s’appelle Joaquim Chissano, ancien président du Mozambique. Puis l’année suivante, en 2008, Festus Mogae, ancien président du Botswana, a été distingué. 

On croyait alors que la machine était huilée et que cette belle récompense trouverait un preneur chaque année. Erreur ! Il a fallu attendre 2011, et donc deux années de passage à vide (2009 et 2010) pour voir l’ancien président du Cap-Vert, Pedro Pires, honoré pour la belle gestion démocratique de son pays. 

Deux années, 2012 et 2013, sont encore passées sans lauréat, avant que Hifikepunye Pohamba, l’ancien président de Namibie, ne soit couronné en 2014. Et comme si c’était écrit, personne n’a été récompensé en 2015, et pas plus en 2016. 

Encore deux années sans un chef d’État qui se distingue au plan de la promotion de la bonne gouvernance et de la démocratie dans son pays. Le départ du pouvoir de la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf, qui a respecté l’esprit et la lettre de la Constitution de son pays, sauve l’honneur en 2017. 

Et c’est Mahamadou Issoufou, ancien président du Niger, qui a fermé le ban depuis 2020, après à nouveau deux années (2018 et 2019) sans attribution. 

Échec de nos dirigeants ? 

Annoncé en mars 2021, ce sixième prix Mo Ibrahim attend toujours son successeur depuis plus de trois ans maintenant. Un état de fait qui souligne, à tout le moins, et au-delà de toutes les questions et difficultés connexes à l’attribution annuelle de ce prix, l’absence de politiques hardies, axées sur le développement de l’Homme, dans nos pays. D’une certaine façon, on peut y voir l’échec de nos dirigeants qui, pour la plupart, préfèrent les ors du pouvoir plutôt que la reconnaissance du devoir bien fait. 

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En tout état de cause, ce prix africain, créé par un Africain — Mo Ibrahim, magnat britannique des télécommunications, d’origine soudanaise — constitue une véritable prime à la bonne gouvernance et à la démocratie. 

En récompensant « d’anciens chefs d’État ou de gouvernement de pays de l’Afrique subsaharienne qui ont été élus démocratiquement », il vise à magnifier cette Afrique qui bouge et qui gagne, cette Afrique vertueuse et conquérante. 

Curieusement, et manifestement, les chefs d’État africains ne se bousculent pas au portillon pour bénéficier de cette manne ! 

Peut-être finalement que les priorités et l’essentiel sont ailleurs… 

Serge Matthias TOMONDJI