Journaliste et éditorialiste béninois, Serge Mathias TOMONDJI est installé au Burkina Faso depuis 1993, où il a assumé différentes fonctions et responsabilités dans plusieurs organes de presse écrite et en ligne. Il a également présenté plusieurs émission à la radio, avant de poursuivre, depuis 2017, son aventure professionnelle à la télévision, comme éditorialiste et comme animateur de débats sur des sujets variés, concernant notamment l'actualité et les mutations sociopolitiques du continent africain, ainsi que sur la culture, la société, les idées.
Résumé : C’est une bien épineuse équation que doit résoudre le secteur de l’éducation sur le continent africain, alors que l’année académique 2023-2024 vient de s’enclencher ici et ailleurs.
Bien entendu, la situation n’est pas pareille partout et on ne saurait généraliser, mais dans bien des pays, on en est encore à rattraper les inégalités causés par la Covid-19. Sans compter le cette exacerbation de crises multiples, multiformes et complexes qui frappent certains systèmes éducatifs, notamment dans les pays où le défi sécuritaire et humanitaire est immense.
L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) constatait ainsi que « 244 millions d’enfants (étaient) privés de rentrée scolaire » en 2022, ce qui impacte des jeunes âgés de 6 à 18 ans dans le monde, toujours pas scolarisés. Et dans un pays comme le Burkina Faso, la situation sécuritaire, humanitaire et sociopolitique n’a pas arrangé les facteurs de promotion du secteur de l’éducation, afin qu’elle devienne un véritable vecteur de changement et de transformation de la société. Covid-19, situation sécuritaire et humanitaire, disfonctionnements structurels désagrègent ainsi les leviers de l’éducation et du développement en Afrique…
L’éducation, a dit Joseph Ki-Zerbo, est « le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés ». Autant dire qu’elle constitue la base essentielle de l’évolution de toute société et du développement des nations. Malheureusement, les systèmes éducatifs africains se trouvent confrontés, depuis fort longtemps, à divers maux et problèmes que plusieurs symposiums, fora et autres réformes ont tenté de résoudre. Si des propositions et des recommandations brillent par leur pertinence sur le papier, elles jurent parfois dans leur mise en œuvre.
Les maux des systèmes éducatifs africains sont presque partout les mêmes: infrastructures insuffisantes et parfois inappropriées, incivisme et violence dans le champ scolaire, résultats en dents de scie, difficile accès des jeunes au marché de l’emploi, manque de vocation et d’éthique chez le personnel d’éducation…
À ces problèmes récurrents que l’on tente de résoudre tant bien que mal, est venue se greffer, ces dernières années, la situation créée notamment par la pandémie de la Covid-19, qui creuse davantage les inégalités et handicape l’efficacité de l’offre éducative.
Une situation que prend à bras le corps l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (Adea) qui, par le biais de son Observatoire de l’échange de connaissances et d’innovations (Kix), a publié en janvier 2022 une étude pertinente sur la question (https://bit.ly/3HS50k5).
Ce rapport résume « les données disponibles sur les politiques et pratiques de 40 pays d’Afrique subsaharienne partenaires du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) en matière de formation et de soutien aux enseignants pendant la pandémie de Covid-19 ».
OUTILS APPROPRIÉS
On note ainsi que la pandémie de la Covid-19 a contraint plusieurs millions d’enfants à quitter temporairement l’école avec des impacts particulièrement importants. Plus de 1,6 milliard d’enfants ont dû ainsi abandonner les bancs des classes au plus fort de la fermeture des écoles, souligne le rapport, qui précise que sur les 127 millions d’enfants scolarisés qui ont été renvoyés chez eux dans la région Afrique orientale et australe de l’Unicef — Fonds des Nations unies pour l’enfance — à la fin du mois de mars 2020, seulement deux tiers d’entre eux ont pu revenir à la fin du mois de novembre 2020.
De plus, la perte d’apprentissage affecte plus particulièrement et plus gravement la couche la plus vulnérable de la population et, fait encore remarquer le rapport, « ce choc s’est produit dans le contexte d’une crise de l’apprentissage préexistante, puisque 87% des enfants de dix ans en Afrique subsaharienne sont incapables de lire une histoire simple ».
Un contexte qui nécessite l’adoption d’outils appropriés ainsi que la mise en place d’une démarche pédagogique visant à placer les formateurs au cœur de la stratégie de relance. D’autant qu’« en tant que principaux vecteurs d’apprentissage, les enseignants ont été à l’avant-garde des efforts visant à aider les élèves à rattraper leur retard tout en appliquant des mesures de santé et d’hygiène pour prévenir les infections en milieu scolaire ».
Aussi, tout en analysant les défis auxquels ils sont confrontés depuis le début de la pandémie, le rapport produit conjointement par l’Adea, le Centre international de l’Union africaine pour l’éducation des filles et des femmes en Afrique (Cieffa-UA) et le Centre africain de recherche sur la population et la santé (APHRC) formule-t-il plusieurs recommandations à l’intention des pays du Partenariat mondial pour l’éducation en Afrique subsaharienne.
La première indique notamment qu’il faut « investir davantage de ressources dans la formation des enseignants afin de renforcer les mécanismes d’adaptation à la pandémie, d’inverser les pertes d’apprentissage et de reconstruire l’éducation en mieux ». Cheville ouvrière et « pilier majeur de tout système éducatif résilient », le corps enseignant constitue à n’en pas douter la clé de voûte d’une reprise en main des apprenants, qui doivent faire face à une nouvelle réalité, imposée par la Covid-19.
On évoque aussi, dans ce rapport, la disparité criarde et le fossé qui s’est creusé entre les villes et les villages en matière d’éducation. Les grossesses contractées par les jeunes filles pendant la fermeture des écoles jette une lumière sur cet aspect des impacts sociaux de la Covid-19. Il y a donc lieu d’explorer les pistes susceptibles d’aider ces jeunes filles à reprendre le chemin de l’école.
Indéniablement, cette pandémie nous aura au moins enseigné l’urgence à introduire, pour dispenser les enseignements, de nouvelles méthodes qui font notamment appel aux technologies de l’information et de la communication. C’est d’ailleurs pourquoi le rapport parrainé par l’Adea recommande aussi d’« explorer les partenariats public-privé avec les fournisseurs de services numériques pour étendre l’accès au numérique et faciliter l’utilisation des DLS (Commutateur de liaison de données) dans la formation et l’apprentissage ».
RENFORCEMENT DES CAPACITÉS
La piste, privilégiée, de l’enseignement à distance et avec des outils numériques adaptés requiert ainsi un nouveau modèle économique de l’école, qui devrait produire un enseignement performant et intégrateur, à même d’atténuer puis d’annihiler les effets pervers de la pandémie, qui resteront durables si rien n’est fait. Cette option de l’utilisation de la technologie pour promouvoir l’apprentissage à distance nécessite, on s’en doute, un renforcement des capacités des enseignants en matière d’utilisation des outils requis et approches adoptées.
Le rapport note avec satisfaction que même si tous les enseignants n’ont pas été touchés par cette initiative, certains ont pu être formés dans les 40 pays partenaires du GPE pendant la fermeture des écoles, notamment « à l’utilisation de diverses solutions comme la radio, la télévision, les applications pour téléphones intelligents (services de messages courts et WhatsApp) et les plateformes en ligne (YouTube, Google Classrooms, Zoom, etc.) ».
Toutefois, en même temps que l’on agit sur l’orientation des apprenants en situation d’urgence, il est nécessaire, voire primordial, recommande encore le rapport, d’« accorder la priorité au renforcement des capacité des enseignants à répondre aux besoins des écoliers vulnérables au sein de leurs communautés ».
ÉDUCATION EN SITUATION D’URGENCE
Il y a encore sans doute loin de la coupe aux lèvres, mais l’horizon est clairement défini pour jeter les bases d’une éducation inclusive, notamment aussi en instaurant, ainsi que le suggère le rapport, « un système qui améliore le bien-être des enseignants en situation d’urgence, notamment par le biais d’un soutien psychosocial ». Cette requête prend tout son sens dans des pays qui, en plus de gérer la crise sanitaire liée au coronavirus, doivent surtout faire face à une crise sécuritaire larvée consécutive à des attaques terroristes récurrentes.
Dans l’état des lieux dressé au début de l’année 2022 par le secrétariat technique du Burkina Faso sur l’éducation en situation d’urgence, il ressort que le nombre des établissements fermés dans le pays est passé de 3 280 en décembre 2021 à 3 405 fin janvier 2022, soit 125 nouveaux espaces de savoir fermés en seulement un mois. On comptait ainsi au Burkina Faso, à la date du 31 janvier 2022, 525 299 élèves et 15 441 enseignants affectés par les situations d’urgence, consécutives aux crises sécuritaire, sanitaire et autres catastrophes naturelles.
Cette situation qui touche 13,60% des structures éducatives du pays frappe ainsi 249 173 filles et 276 126 garçons parmi les élèves, ainsi que 4 878 femmes et 10 563 hommes de tous les ordres d’enseignement. Le dernier point officiel établit que 6 149 écoles sont fermées dans ce pays fin mai 2023 (soit une école sur quatre), avec la conséquence, indique récemment l’Unicef, que « plus d’un million d’enfants hors-écoles du fait de l’intensification des violences », et plus de 30 000 enseignants se retrouvent dans l’incapacité d’exercer leur métier.
Ces enfants non scolarisés sont ainsi exposés, précise l’Unicef, « au travail forcé, recrutements par des groupes armés, abus et exploitations sexuelles, violences basés sur le genre ou mariages précoces ».
Le tableau, on le voit, n’est pas des plus reluisants, aussi bien pour les enfants non scolarisés que pour les enseignants en déshérence, au moment où la Journée mondiale qui leur dédiée le 5 octobre de chaque année met l’accent, en 2023, sur la sensibilisation à leur importance et à leur rôle dans le système éducatif. Le thème de cette Journée — « Les enseignants dont nous avons besoin pour l’éducation que nous voulons : l’impératif mondial de remédier à la pénurie d’enseignants » — convoque ainsi une synergie d’actions pour améliorer de façon significative la qualité du travail des formateurs dans le monde, à ces soldats qui nous apportent chaque jour, depuis la nuit des temps, savoir, éducation, savoir-être…
CRI DU CŒUR
En tout état de cause, on attend toujours d’y arriver. Mais pour ce faire, chacun doit apporter sa pierre à l’édifice pour relever les défis permanents qui se posent aux systèmes éducatifs africains. Déjà, l’Association pour le développement de l’éducation en Afrique, forum de dialogue politique créé en 1988, ambitionne d’agir comme « un catalyseur de réformes et de politiques et pratiques prometteuses par la mise en commun d’idées, d’expériences, de leçons apprises et de connaissances ». Elle œuvre sensiblement à promouvoir « un véritable partenariat entre les ministères africains de l’Éducation et de la formation, et leurs partenaires techniques et extérieurs ».
Ce faisant, elle constitue une institution panafricaine de référence pour impulser des dynamiques de changements significatifs en matière d’éducation et de formation pour l’éducation. Un capital immense quand on est d’accord avec le défunt président sud-africain Nelson Mandela pour dire que « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ». Trouver des solutions adéquates pour les situations d’urgence qui entravent la bonne marche des systèmes éducatifs africains devient alors un véritable impératif. Un cri du cœur !
© Serge Mathias Tomondji Ouagadougou, 20 octobre 2023