A propos de l'Outre-Mer et de la Francophonie. Entretien avec Philippe FOLLIOT

Philippe FOLLIOT est sénateur du Tarn

Entretien avec Jean-Claude MAIRAL, co-président I-Dialogos

Jean Claude Mairal(I-dialogos) : La France a la chance formidable d'avoir en son sein des territoires aux 4 coins de la planète, Guadeloupe, Martinique, St Barthélémy, St Martin, Guyane, La Réunion, Mayotte, les îles Eparses, St Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna, Polynésie Française, Nouvelle Calédonie, Terres australes et antarctiques, Clipperton, île de la Passion. Et pourtant il y a une profonde méconnaissance chez les citoyens, les élus et les acteurs économiques de l'hexagone, de la réalité des territoires ultra-marins et de leurs populations. 

Alors que ces territoires possèdent une richesse humaine, une diversité culturelle, une créativité et des potentialités économiques environnementales considérables, on sous-estime grandement l’intérêt pour le rayonnement et de la France, de pouvoir disposer de ces territoires qui sont présents aux quatre coins du Monde et sur trois Océans, faisant de notre pays, le 2ème empire maritime mondial, après les USA. 

On n'entend parler de ces territoires que lorsqu'il y a des catastrophes ou des grèves.   Originaire de l’île de Tiga en Nouvelle-Calédonie, Walles Kotra qui a été directeur exécutif chargé de l’Outre-mer au sein du groupe France-Télévisions, parle de la France comme d’un « Pays-Monde » qui pourtant se « refuse de se penser en archipel mondial pour continuer à n'être qu'un Hexagone rabougri, incapable d'assumer sa géographie éclatée et ses champs culturels multiples". Vous–même dans votre ouvrage « France-sur-Mer, un incroyable gâchis » vous faites le même constat en écrivant, "Le "métropolicentrisme", c'est cette négation inconsciente de l'Outre-Mer français, une vision de notre horizon commun aux seules limites hexagonales". Constat implacable ! 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Selon moi le paradoxe de notre monde c’est qu’il n’a jamais été autant ouvert pour les flux de personnes (transports aériens), de marchandises (transport maritime, par containers), d’information (internet, réseaux sociaux, etc.), et que pour autant il y a une forme de repli, parfois identitaire ou autre, qui fait qu’effectivement on se construit des murs là où il faudrait bâtir des ponts. L’Europe n’est que très marginalement ultramarine. Seuls cinq pays ont des territoires ultramarins (France, Espagne, Portugal, Pays-Bas et Danemark) mais un seul est présent dans l’Océan Indien et le Pacifique, c’est le nôtre. En conséquence les stratégies européennes sont quasi-exclusivement continentales avec tout ce que cela comporte comme conséquences pour toutes ces régions dites « ultrapériphériques ». 

Jean Claude Mairal : Pourtant Portugal, Espagne, Italie et Danemark ont avec la France la chance de disposer de territoires îliens : Madère, Açores, Canaries, îles Baléares, Sardaigne, Sicile, Groendland. Avec une particularité, c'est que la France est présente aux quatre coins de la planète, sur tous les Océans. Pour la France, on pourrait rajouter la Corse. C'est une chance pour l'UE! N'y aurait-il pas une stratégie spécifique à mener pour elle concernant ces territoires et se considérer comme la grande puissance maritime ? 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Dans la compétition des grands blocs et des grandes puissances, effectivement, la position de la France peut apporter à notre continent et à notre pays qui rappelons-le est désormais le seul de l’union européenne à être membre du Conseil de sécurité des nations unies peut-être une extraordinaire chance et un élément discriminant positivement pour l’Europe. Mais encore faut-il le vouloir. Force est de constater qu’aujourd’hui, la stratégie dite « indopacifique » de la France repose plus sur des mots que sur des réalités et que pour l’Union européenne, c’est encore pire. Être présent tout autour du monde est une chance pour notre pays mais pourrait être un atout pour l’Europe, encore faut-il que celle-ci veuille se donner les moyens de s’en saisir. 

Jean Claude Mairal : Vous soulignez dans le chapitre "Le défi des ressources", "le potentiel économique de la mer" (énergie, alimentation, ressource en eau, la pêche, ressources minières, etc), une biodiversité d'une grande richesse. Vous insistez beaucoup sur la filière aquapôle avec une insistance très forte, sur la culture des algues. 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Un des défis majeurs de l’humanité au XXIe siècle sera de nourrir près de 10 milliards d’êtres humains. Nous savons qu’il sera difficile d’augmenter de 30% les surfaces agricoles ou les rendements, en conséquence, il faudra aller chercher dans la mer des protéines pour l’alimentation tant humaine qu’animale, effectivement la culture des algues est une perspective prometteuse et avec, chez nous, un gros potentiel de développement. 

Jean Claude Mairal : Comme vous le notez, tous les territoires ultra-marins ont de nombreux atouts à faire valoir pour leur propre développement endogène, malheureusement il y a une trop grande dépendance aux transferts sociaux et à l'administration publique. De ce fait les problèmes demeurent avec un mécontentement profond vis à vis de l'hexagone, générant des velléités d'indépendance. C’est pourquoi vous souhaitez que notre pays pour ses Outre- Mer enclenche "un nouveau cycle plus vertueux pour l'archipel France, alliant formation/emplois/ dynamisme économique, nouvelle image, etc". Vous souhaitez même, "faire de nos outre-mer un chapelet de "Petits Singapour francophones" tournées vers l'économie bleue, telle devrait être notre ambition", dites-vous ! 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Si la France suivait les perspectives de croissance de l’économie bleue telle que déterminée par l’OCDE à l’horizon 2030, avec un doublement de l’activité, ce sont près de 300 000 emplois nouveaux qui pourraient être créés dans notre pays dans toutes ces filières. Mon analyse est qu’avec du volontarisme politique on pourrait essayer de flécher 20% de ces nouveaux emplois dans les outre-mer et la création d’une cinquantaine de milliers d’emplois nouveaux dans nos départements et territoires ultramarins pourrait changer la donne et sortir d’une logique d’assistance-minimas sociaux-pauvreté-repli pour aller vers une logique emploi- dynamisme-formation-ouverture. 

=LES COLLECTIVITES D'OUTRE-MER (source Sénat)

Jean Claude Mairal: Ne serait-il pas indispensable d'avoir une réelle déconcentration des moyens de l'Etat en direction des Outre-Mer et faire de ceux-ci des pôles de rayonnement de la France dans l'espace géographique où ils se situent afin d’en faire des partenaires actifs de l'action internationale et de coopération en direction des pays de leur zone? 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Effectivement, la déconcentration des moyens de l’État et d’organismes parapublics en direction des outre-mer serait une très bonne mesure. À titre d’exemple l’Ifremer n’a que 5% de ses effectifs dans les outre-mer alors que, comme dit plus haut, ceux-ci représentent plus de 97,5% de notre Zone Économique Exclusive. 

On pourrait aussi envisager qu’un certain nombre de services de l’État voire d’organisations internationales puissent avoir leur siège en outre-mer. J’avais dans un rapport parlementaire proposé que le siège de l'Organisation internationale pour les aides à la navigation maritime soit transféré à Saint-Denis de La Réunion. Ce serait un acte symbolique fort mais aussi un message adressé par la France à la communauté internationale. 

Jean Claude Mairal : Vous proposez la création d'un grand ministère d'Etat regroupant Mer et Outre-Mer. Cela ne devrait-il pas s’accompagner par radicalement les relations entre l’État et les collectivités ultramarines ou, pour inverser pasticher Michel Rocard, « décoloniser la décentralisation »   

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn): Même si effectivement ce grand ministère de la mer et des outre-mer n’est pas encore une réalité, je me félicite que le ministère des outre-mer soit rattaché à Matignon et non plus à Place Beauvau car nous avons pu constater ces dernières années l’échec de cette stratégie qui, au-delà du message subliminal adressé à nos compatriotes ultramarins, que les enjeux les concernant sont essentiellement d’ordre public, nos outre-mer méritent effectivement un ministère de plein exercice. 

Jean Claude Mairal : Faire prendre conscience aux élus et les citoyens de l’intérêt des Outre-Mer pour la France est une nécessité. Est-ce que la culture ne pourrait pas être ce vecteur de prise de conscience et sortir des clichés sur ces territoires Des exemples parmi d'autres:
- Pourquoi pas "Un grand Echiquier", le grand rendez-vous culturel de France2, présenté par Claire Chazal, consacré à la créativité culturelle des Outre-Mer? -Pourquoi pas la littérature des Outre-Mer à la Grande librairie de Augustin Trapenard ?
- Pourquoi le CNCS (Centre National du Costume de scène), situé à Moulins (03) qui a consacré une exposition au Carnaval de Rio, ne consacrerait pas une exposition aux carnavals (il y en a de prestigieux en Guyane, en Guadeloupe et en Martinique) et aux costumes des peuples des Outre-Mer?


Pourquoi ne pas tisser des partenariats dans l’Hexagone, pour valoriser les films et documentaires avec le Festival international du film documentaire Océanien (FIFO), le Festival international du film documentaire Amazonie- Caraïbes(FIFAC) (Saint-Laurent du Maroni en Guyane) et le festival international du film de l'Océan Indien (FIFOI) (Saint-Paul à la Réunion) qui mettent en valeur la créativité et la diversité des cultures et des peuples de tous les territoires concernés. 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Effectivement la culture devrait être un élément de rayonnement, et au-delà des pistes très judicieuses que vous mettez en avant, ma proposition, qui, au-delà d’avoir un Louvre-Lens ou un Centre Pompidou à Metz avoir des antennes des grands musées nationaux dans nos outre-mer pourrait être un extraordinaire outil de rayonnement de la France dans les Antilles, dans le sud de l’Océan Indien et dans le Pacifique. 

Jean Claude Mairal : Et si on parlait pour conclure de la Francophonie, autre atout pour la France. Yves Bigot, président de la fondation des Alliances françaises écrit, dans un hors-série de L’Eléphant, « La France est le seul pays qui ne s’intéresse pas à la francophonie », ce qui fait que les Français « ne mesurent pas combien la Francophonie et la langue française sont notre force. » Pour lui, et nous y adhérons complètement, « La conscience de la force de la francophonie est notre avenir. » Et il ajoute : « Pour la nouvelle génération, la Francophonie représente un avenir culturel et géopolitique, et un futur économique crucial. » Comment faire que les citoyens, les collectivités, les associations et les entreprises françaises s’emparent et fassent leur la Francophonie?   

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Effectivement, la francophonie est un enjeu majeur et nos outre-mer sont des points d’appui idéal de rayonnement, encore faut-il mettre en concordance nos politiques, notamment les moyens mis dans l’Agence française de développement (AFD) pour servir d’appui et de relais pour cette politique. Mais quand je vois que parfois les plus hautes administrations, voire la présidence de la République elle-même utilise des anglicismes pour des stratégies de communication, il ne me paraît pas bon que le mauvais exemple vienne du haut. Nous devons communément, toutes et tous, hexagonaux comme ultramarins, être très vigilants par rapport à cela, et cette diversité linguistique que je défends à l’échelon international par la francophonie, il faut aussi la défendre à l’échelon national par le biais du soutien aux langues régionales.  

Jean Claude Mairal : Outre-Mer/ Francophonie, même combat au sein de l’Hexagone ? 

Philippe Folliot (Sénateur du Tarn) : Mais pour autant quand on regarde notre Marine nationale, en tonnage, plus de 90% des moyens sont dans l’hexagone. Ceci montre le déséquilibre flagrant qu’il y a en la matière, et à cette logique des deux moitiés (Brest-Toulon), je voudrais y substituer celle des quatre quarts (Brest pour l’Atlantique, Toulon pour la Méditerranée, Saint-Denis pour l’Océan Indien et Nouméa ou Papeete pour le Pacifique). Ainsi nous pourrions être plus crédibles dans notre posture et mieux peser en matière de crédibilité d’intervention dans ces zones, qui parfois sont de conflictualités fortes. 

À l’instar de la Marine, le redéploiement de nos forces terrestres, plus particulièrement des unités d’entrée en théâtre telles que les troupes de Marine ou la projection permanente de moyens de l’armée de l’air et de l’espace seraient des signaux forts en termes d’engagement de la France, et pourquoi pas de l’Union européenne, d’assumer son rang et de défendre ses intérêts.


Philippe Folliot

  • Sénateur du Tarn (depuis le 1er octobre 2020).
  • Député du Tarn (2002-2020).
  • Président de l’Alliance centriste depuis septembre 2016.
  • Président de la commission économie et sécurité à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN.
  • Membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
  • Membre de la Délégation aux Outremers du Sénat, membre du Conseil Consultatif des TAAF. Il est par ailleurs nommé rapporteur dans le cadre d’un rapport sur la place des Outre mers dans la stratégie maritime nationale.
  • Il a été pendant longtemps élu local: maire, adjoint au maire, Pdt d'intercommunalité, Conseiller général, Conseiller régional

Publications :Parmi ses nombreuses publications, il y en a très intéressantes et pertinentes qui concernent les Outre-MerPhilippe FOLLIOT et Xavier LOUY, France-sur-Mer : un empire oublié, Editions du Rocher, 2009Philippe FOLLIOT et Christian JOST, La Passion – Clipperton, l’île sacrifiée, Editions la Bibliotèca, 2018Philippe FOLLIOT, France-sur-Mer : Un incroyable gâchis – Editions la Bibliotèca, 2022